Villers-Bretonneux
Pour la première fois dans l'histoire militaire, un combat chars contre chars aura lieu en 1918. Des tanks vont se battre entre eux. La bataille du 24 Avril 1918 qui va opposer des engins britanniques à leurs alter-ego allemands aura été presque accidentelle, ou tout au moins un à-côté d'un échange de tirs entre fantassins. Elle va mettre en évidence les atouts et les lacunes de ces blindés durant un combat, en particulier le modèle léger utilisé par les Britanniques. Pourtant, le char avait déja conquis la faveur de plusieurs théoriciens militaires, commele colonel Hugh Elles et le major Fuller. Ce dernier est convaincu que le tank peut non seulement protéger le fantassin, mais également attaquer d'autres tanks. Cette bataille de tanks s'inscrit dans la suite de ce qu'il est convenu d'appeler la première bataille de Villers-Bretonneux (un bled situé à environ 10 milles de la ville d'Amiens), et qui a permis au général Ludendorff de refouler les Alliés de 10 milles vers le sud, menaçant ainsi Amiens.
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Sur les tanks
Nous savons que le char était déjà perçu comme un "gadget" par le GQG allié. Ce n'était qu'une bricole, lancé hâtivement dans la bataille afin de percer le front continu. Quelques exemplaires avaient déjà été utilisés par les Français durant la dernière phase de la bataille de Verdun ainsi que durant celle du Chemin des Dames, mais sans grand succès. Les Britanniques avaient utilisés leurs premiers chars durant la bataille de la Somme et de Passchendaele, également sans succès. Une deuxième tentative a été faite à Cambrai en les utilisant en masse; cependant, les résultats n'avaient pas été à la hauteur des espérances: le char pouvait protéger l'infanterie et franchir les réseaux de barbelés, mais il était incapable de résister au pire ennemi du fantassin dans cette guerre: le canon. Mais qu'en était-il en 1918? Rappelons simplement que les Brits mirent en ligne les chars Mark 1 (ou Mother) en 1916, construits à 150 exemplaires. Afin de ne pas attirer la curiosité de l'ennemi, les éléments des chars furent transportés dans des caisses portant l'inscription tank (réservoir) en laissant croire à des réservoirs d'eau. Mais il s'agissait d'un véhicule lourd cuirassé. Le char Mark IV qui a participé aux batailles de Passchendaele et de Cambrai avait un poids de 29 tonnes et il se présentait en deux versions: Le "mâle", armé de deux canons courts de 57mm et trois mitrailleuses Hotchkiss en 8mm Lebel, et la "femelle" armée de six mitrailleuses. Sa particularité était de porter une sorte de poutre qui peut tourner autour du char et entraînée par des chaînes, pouvant servir dans des terrains trop mous. Le char Mark IV peut être considéré comme le premier char "moderne" à cette époque.
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Le char britannique Mark A Whippet – Le char français Renault FT-17
Le premier char léger utilisé sur un champ de bataille fut ll'engin britannique Médium Mark A – surnommé Whippet – à traduire par lévrier. Construit à 200 exemplaires en 1917-1918, il pesait 14 tonnes; sa vitesse était de 13 km/h. Sa caractéristique principale était de posséder la première tourelle blindée pivotante. Il était armé de trois mitrailleuses Hotchkiss en 8mm Lebel, et se manoeuvrait avec trois équipiers. Les Allemands, eux, ne croyaient pas aux chars mais plutôt au cheval. L'État-major allemand n'avait que mépris pour ces engins dont ils ne comprenaient pas l'utilité. En conséquence, leur retard était important à la fin de la guerre. Ils utilisèrent environ trente chars anglais réparés par leurs services après capture et destruction partielle, mais ils ne construisirent que quinze chars spécifiquement allemands. C'était le char Elfriede, mais son nom officiel était A7V.(en haut de page), qui s'écrit: Allgemeines Kriegsdepartement 7 Abteilung Verkehrswesen (Département général de la guerre 7, section de transports)... Le A7V. pesait 30 tonnes et roulait à la vitesse 3 mph. Sonarmement consistait en un canon Sokol de 57 mm, 6 mitrailleuses Maxim 1908 ou 7 Spandau en calibre 8mm Mauser; équipage 18 hommes. Ces équipages venaient de la 4ème division de la Garde et portaient un K sur l'épaule de l'uniforme. C'est un général Ludendorff hésitant qui accepte de les utiliser pour faire une diversion vers les villages de Cachy et de Villers-Bretonneux
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Tank A7V allemand – Deux A7V près du village de Cachy
Dans l'armée française, il y avait un besoin de chars rapides, maniables, facilement transportables commençait à se faire sentir. En Juillet 1916, après de longues hésitations, l'industriel Renault finit par céder aux instances du colonel Estienne et, en 1918, les premiers blindés légers FT-17 passaient avec succès l'épreuve du feu. Le char pesait 7,5 tonnes, vitesse 3,5 à 8 km/h. Son armeemnt consistait en un canon de 37 mm, ou une mitrailleuse Hotchkiss modèle 1914 en 8mm Lebel. L'équipage était composé de deux hommes, un officier (par section) et un mécanicien, ou un sous-officier ou gradé et un mécanicien par char. Il fut construit en 1560 exemplaires de tous types y compris des versions P.C. et T.S.F.
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La bataille
Le 17 Avril, les Allemands ont fait un petit pilonnage d'artillerie dans la zone de Villiers-Bretonneux-Cachy, et en particulier sur le bois d'Aquenne, là où les Britanniques s'étaient installés provisoirement. Le 24, les Britanniques avancent prudemment malgré les gaz toxiques en direction du village. D'abord, un premier groupe de sept engins allemands se frottent avec les Brits (essentiellement des unités australiennes et néo-zélandaises) à proximité de Villiers-Bretonneux. Les tirs intenses forcent les engins allemands à rebrousser chemin. Deux A7V ont été légèrement endommagés et un autre est tombé en panne. Le terrain est momentanément pilonné par des obus fumigènes et au gaz.
L'attaque initiale allemande vers les positions britanniques
Soudain, trois chars brits, un "mâle" et deux "femelle", se trouvèrent face à face avec deux chars allemands. Durant une aube brumeuse, les deux engins allemands protègent l'avance d'un groupe de fantassins allant à la rencontre des Brits pour leur ravir leurs deux objectifs – le bois d'Aquenne et le village de Villers-Bretonneux. Près de Cachy à 9H45, le tank Mark IV mâle du lieutenant Mitchell fait face aux engins ennemis pour appuyer l'avance de deux Mark IV femelles. Les chars allemands commandés par le capitaine Blitz manoeuvrent péniblement sur le terrain et tirent quelques obus sans toucher leurs adversaires. A 10H20, Michell parvient à center son petit canon sur le tank ennemi et le force èa se replier rapidement (clip en-bas). Mitchell le suit et parvient à le détruire détruit avec 3 projectiles de 57mm: deux morts et 5 blessés. Le A7V est évacué. Quelques minutes plus tard, le Mark IV de Mitchell tire quelques obus sur deux autres A7V commandés par les lieutenants Muller et Bitter, mais sans les atteindre.
La vision topographique de la bataille
Entre-temps, les 7 chars légers Whippet commandés par le capitaine Price avancent sur Cachy pour déloger ce qu'ils croient être un groupe de soldats ennemis embusqués. Ils subissent le feu d'un A7V qui en détruit un et en endommage deux autres. Mitchell, de l'autre côté du village, observe le repli des chars de Price. À 12H45 devant Villers-Bretonneux, Mitchell fait avorter une nouvelle attaque allemande en cassant la chenille d'un autre A7V, ce qui force les fantassins allemands à se replier. Le champ de bataille avait une autre allure: au lieu de morts et d'agonisants, il y avait plutôt des engins cassés ou abandonnés. Le combat se solda par un match nul. Faute de nouveaux chars, les tankistes des véhicules endommagés poursuivront le combat ultérieurement comme fantassins. Michell couvre la récupération des blessés et des prisonniers (environ 2000!). À un kilomètre de lui, Muller veut réattaquer, mais ses fantassins ne veulent plus le suivre.
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Leçons
Cette petite affaire nous montre que les tanks ont fait mieux en une seule journée que ce que des fantassins auraient pu faire en une semaine. Elle aura des conséquences tactiques pour les deux camps. Les Allemands sont convaincus du potentiel du tank et essaieront d'en obtenir plus dans leurs rangs. Faute d'en obtenir, ils retiendront les leçons apprises à Cambrai sur la nécessité de mettre au point un canon plus léger pour jouer le rôle d'arme antichar. Cette dernière devra être capable de percer des blindages allant de 13 à 40mm d'épaisseur. Les Britanniques, eux, retiennent la nécessité de fixer un appareillage de visée pour assurer des coups au but. Le Tank Corps essaie de remplacer le plus grand nombre de Mark IV femelles par des versions mâles.
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Un char allemand A7V après la bataille – Un char Mark IV femelle
Ce qui fera la différence après Villers-Bretonneux, c'est le grand nombre de tanks produits par les Alliés jusqu'à la fin de la guerre, alors que Allemands n'en n'auront que quelques-uns. Lorsque les Allemands lancent en Juillet une contre-attaque appelée Opération Georg dans le secteur, celle-ci est stoppée net par l'arrivée soudaine de nombreux chars légers français FT-17. Le major Fuller propose de remplacer progressivement les Whippets par un nouveau modèle de tank, le Mark V, qui peut également servir de transporteur de troupe blindé. Le Mark V fera son apparition è 8 Août à Amiens. L'effet psychologique du tank sur l'infanterie sera de plus en plus grand. Les Allemands auront tendance à associer la vue de tout char à une attaque alliée. Le 31 Août à Fremicourt, des soldats allemands affolés à la vue de tanks font tirer leur artillerie: deux A7V détruits... La présence de centaines de ces engins sera un facteur d'insécurité supplémentaire
A Niègnies
Avec la rupture du front continu et le repli allemand amorcé en Août et en Septembre, l'usage des tank a été minimal. Mais à partir d'Octobre, Ils utilisent 10 chars Mark IV capturés au sud de Cambrai pour aider à l'encerclement de la ville. Les Allemands lancent leur petite attaque le 8 Octobre après un court barrage d'artillerie et de fumigènes. Les engins allemands sont attaqués de flanc par 8 Mark IV: deux engins aux couleurs allemandes sont détruits et un autre amoché par une pièce d'artillerie tractée. Près du village de Nièrgnies, les tanks britaniques et allemands s'affrontent bien en vue et à courte distance. le char du capitaine Rowe fait tirer son canon de 57mm sur un modèle allemand qui ouvre le feu presque simultanément. Le véhicule allemand est détruit, mais son tir a percé le blindage du véhicule brit: 4 blessés. Des fantassins allemands essaient de capturer un Mark IV femelle sont fauchés par le tir de ses mitrailleuses. Un autre Mark IV britannique, celui du lieutenant Martel. est évacué à cause de la surchauffe de son moteur. Deux autres Mark IV allemands sont détruits par une pièce tractée. La présence constante de ces tanks qui tirent et qui mitraillent décourage les unités de fantassins allemands qui se replient..à l'anglaise.
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Une description visuelle de la bataille – Tankistes allemands après la bataille
Fait à noter, aucun char français ou américain ne participera à des affrontements entre tanks. La raison principale étant que les Allemands avaient l'habitude de ramener leurs véhicules à l'arrière dès que l'infanterie a réussi un assaut. Lorsque l'US Army utilise ses 174 Renault FT-17 contre St-Mihiel le 12 Septembre, ils attaquent un ennemi déjà en train de se replier: les tanks allemands ne sont pas au rendez-vous. Ludendorff avait compris qui lui était inutile désormais d'opposer le sacrifice de ses effectifs devant un adversaire qui a retrouvé sa mobilité tactique et stratégique – et qui peut masser plusieurs centaines de tank sur ses trousses. Grâce au grand nombre de leurs tanks disponibles durant l'été 1918, les Alliés verront leurs succès au sol s'accélérer jusqu'à la conclusion d'un armistice.
Un char A7V mis hors de combat
Les combats de tanks à Villers-Bretonneux et à Nièrgnies ont créé une tangeante, voire le microcosme de ce que sera les futurs combats de chars: De meilleurs véhicules plus légers et mieux armés dotés de tourelles pivotantes; confirmer la place du commandant dans la tourelle pour diriger son véhicule; les artilleurs doivent développer des techniques de pointage et se pratiquer régulièrement. Ses mécaniciens doivent l'entretenir périodiquement pour réduire les pannes mécaniques. Le char doit non seulement protéger le fantassin avec sa carapace, mais attaquer de lui-même les éléments enenmis les plus avancés.
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