Le traité de Versailles
Il s'agit du traité de paix définitif entre l'Allemagne et les alliés de l'Entente durant la Première Guerre mondiale. Le document a été péniblement élaboré durant la conférence de Paris et deviendra un traité lors de sa signature le 28 Juin 1919 dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Pourquoi en ce lieu? Les Européens ont un sens aigu de l'histoire puisque le château de Versailles avait été le lieu où les Allemands avaient proclamé le IIème Reich en 1871, suite à leur victoire sur la France un an plus tôt. Cela permet aux Français de laver symboliquement l'humiliation de cette défaite. Pourquoi à cette date? Parce qu'elle commémore celle de l'assassinat de Francois-Ferdinand en Juin 1914. Ce traité annonce la création d'une Société des Nations (ou SDN) et détermine les sanctions prises à l'encontre de l'Allemagne. Celle-ci, qui n'était pas représentée à cette conférence, se voit privée de ses colonies et d'une partie de ses droits militaires, amputée de certains territoires et astreinte à de lourdes réparations économiques. Une paix imposée par les vainqueurs, grommellent les Allemands. On convie des représentants des territoires du monde entier à la conférence de paix mais aucun responsable des états vaincus: 27 pays, 1000 délégués, 52 commissions diverses qui auront pour objectif de reconstruire l'Europe afin de lui éviter une nouvelle guerre.
________
Un bilan désastreux
La Première Guerre mondiale laisse une cicatrice indélébile à une Europe désormais désemparée: 9 millions de morts et environ 6 millions de blessés à des degrés divers. À ces pertes s'ajoutent celles provoquées par la maladie, la malnutrition et un nouveau virus qui apparaît en 1917-18: l'influenza. La France, l'Allemagne et la Russie cumulent à elles seules 60% des pertes. Durant le conflit, la Russie a subi 1.7 million de morts (5% de sa population) auxquels s'ajouteront les victimes de la guerre civile et des purges staliniennes ultérieures. Ce pays est désormais en proie à l'anarchie et où déjà rien ne fonctionnait vraiment depuis 1914... L'Autriche-Hongrie a eu 1.1 million de morts (9.5% de sa population). L'Allemagne a eu 1.7 million de soldats tués (soit 9.8% de sa population), 4.2 millions de blessés, 1.1 million de prisonniers détenus dans plusieurs pays, auxquels s'ajoutent 270,000 civils morts de faim et/ou de maladie. La Turquie, quant à elle, fait état de 325,000 morts (dont le tiers sont des civils morts de faim). Fait à noter, la Serbie avec 45,000 morts et la Roumanie avec 335,000 tués sont les deux pays où le taux de pertes est le plus élevé proportionnellement à leur population. La Grèce n'a eu que 5,000 tués, le Monténégro 3,000, la Belgique 13,000 et le Portugal 7,200. L'Empire britannique a eu 940,000 morts (5.1% de sa population) et environ 2 millions de blessés. L'Italie pleure ses 750,000 tués (6.2% de sa population) et 947,000 blessés à des degrés divers. Les États-Unis ont perdu environ 80,000 personnes et 200,000 blessés. La France a été le pays qui aura le plus souffert proportionnellement au nombre de soldats déployés et de la superficie des zones de combat: 1.3 million de morts (10.5% de sa population) – ce qui veut dire 18% du total des 7 millions de mobilisés. En France, la guerre a fait 630,000 veuves et 700,000 orphelins causant ainsi une fracture dans la courbe démographique et un vieillissement prématurée d'une partie de la population. On observera le même phénomène en Russie après 1917.
_
Le nord de la France n'est qu'un champ de ruines – Basilique de St-Quentin
Cette guerre a également causé des destructions importantes mais localisées dans des zones plutôt restreintes. Les pays en guerre suivaient la guerre via les journaux et n'étaient pas touchés par les effets directs des opérations. Les gens vivaient une existence presque normale qui irritait souvent les permissionnaires venant du front. Dans certaines régions, la population apercevait des convois de ravitaillement et de renforts qui leur rappelait la réalité du conflit mais sans être directement exposée aux bruits et aux tirs. Pour la population civile, la réalité de la guerre se traduit par la pauvreté de la diète alimentaire causée par le rationnement et, surtout, par la maladie dans les régions moins bien ravitaillées. En revanche, certaines régions comme la Galicie, l'Ukraine, la Prusse orientale et le nord de la France ont été dévastées car tout est en ruines. Notons que les grandes villes sont plutôt épargnées, sauf, entre autres, Ypres, Czernowitz, Lille et St-Quentin qui ont été détruites par l'artillerie. De très nombreux villages et hameaux ont été rayés de la carte; plusieurs ne seront d'ailleurs jamais reconstruits. La zone de combat du front occidental a subi de lourdes destructions depuis les Flandres jusqu'en Champagne. Les ponts sont détruits, la plupart des bonnes terres à blé et les vignobles ont été scrappés par les tirs d'artillerie et l'utilisation de gaz toxiques qui ont contaminé les sols en les rendant impropres à toute culture. Les nappes phréatiques sont souvent contaminées par le mercure et autres métaux lourds. L'état de ces destructions a de quoi étonner deux jeunes femmes volontaires américaines qui constatent l'étendue des dégâts (clip ci-haut à gauche). Durant leur retraite de l'été 1918, les Allemands vont inonder les mines françaises du Nord. Tout est à refaire: La France doit reconstruire 400,000 immeubles, 62,000 km de routes et plusieurs milliers de km de voies ferrées. Des centaines de milliers d'obus et de munitions non-explosées traînent dans les sols et feront de nombreuses victimes durant l'entre-deux guerres chez les agriculteurs et propriétaires fonciers. L'effort de déminage est inégal et dépend de l'enveloppe budgétaire qui lui est consacrée et cela représente un défi constant car chaque dégel printannier fait remonter de nombreux obus actifs à la surface qu'il faut retirer soigneusement, ou faire exploser sur place (clip ci-bas à droite).
_
Une localité partiellement pilonnée – Une équipe de démineurs à Verdun en 1996
La guerre a coûté cher aux belligérants: $19 millions de dollars par jour aux Français, $25 millions aux Allemands et $37 millions aux Britanniques. Elle a créé un cycle d'endettement qui va lourdement hypothéquer certains pays: l'Angleterre va ainsi s'endetter considérablement vis-à-vis les États-Unis à partir du printemps 1915 et s'affaiblira presque fatalement jusqu'en 1950. L'Allemagne verra sa monnaie se dévaluer rapidement, ce qui se traduira par un mécontentement populaire envers le Kaiser et ultérieurement envers le parlementarisme. Les Européens ont sacrifié le socle de leur prospérité d'avant-guerre soit la convertibilité des monnaies en or, ce qui met donc fin au régime d'étalon-or sur lequel reposait toute l'économie financière au XIXè siècle. En 1919, les monnaies européennes ne sont plus soutenues artificiellement et s'effondrent face au dollar américain et à l'or: le mark allemand perd 90% de sa valeur, le franc 65% et la livre sterling 10% – ce qui va accroître l'inflation au moment où les budgets nationaux déficitaires doivent répondre à des exigences sociales urgentes, ne serait-ce que pour éviter la révolution sociale... Sur le plan financier, l'Europe perd sa prééminence face aux États-Unis qui réaffermi son statut d'État émergent. La Bourse de New-York remplace la City londonienne en devenant la première place financière mondiale. L'Europe a perdu ses parts de marché dans le monde en dépit des entrées venant de ses colonies. Elle est devenue de facto importatrice de produits alimentaires des États-Unis et de l'Amérique latine. Tandis que les Américains et Japonais s'enrichissent, la Chine s'effrite et l'Inde stagne. La nouvelle Russie bolchevique poursuit son naufrage; sur le plan agroalimentaire, la superficie cultivée de son territoire n'est que que 62% de celle exploitée avant la guerre.
Une démocratie de façade
La Première Guerre mondiale a scellé le sort de plusieurs dynasties: les Romanov, les Habsbourg, les Wittelsbach, les Hohenzollern, et les sultans ottomans. Elle a mise au rebut l'idée de la monarchie autoritaire et illustré l'impuissance dynastique comme modèle politique pour rassembler les peuples. De nouveaux États républicains vont apparaître avec l'éclatement de ces empires, soit l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Turquie. D'autres nouveaux-nés vont se doter d'un régime parlementaire, comme la Pologne et la Tchécoslovaquie. Les États qui avaient une monarchie constitutionnelle avant la guerre conservent ce type de régime; ce sera le cas de l'Angleterre, de l'Espagne, du Portugal, de la Belgique et de la Roumanie. Quant au futur "Royaume des Serbes, Croates et Slovènes", il s'agit d'une "amanchure" politique qui sera expliquée plus bas dans ce dossier mais qui devra ultérieurement prouver sa pertinence dans sa durée. L'ennui est que le manque de traditions démocratiques conduiront ces nouveaux États à devenir des pays autoritaires. Toutefois en 1919, l'Europe ne veut plus rien savoir de la guerre: plus jamais ça! La jeune génération qui a grandi durant la guerre et exposée à la tentation révolutionnaire est insécure et a soif de vie; elle va développer à la fois un pacifisme affirmé et une tendance à soutenir des courants extrémistes et totalitaires qui n'annonceront rien de bon pour l'avenir. Les générations plus âgées qui ont vécu la guerre vont nourrir un esprit de passivité politique afin de ne plus être confrontées à ce cauchemar qu'est une guerre mondiale.
Entretenir la mémoire
L'immédiat après-guerre lance une frénésie commémorative. À Londres et à Paris, la victoire est célébrée avec pompe dans l'allégresse et la joie. Cependant, le deuil et la douleur sont partout. En France et en Belgique, tous les villages rendent hommage à leurs soldats en érigeant un monument commémoratif dans leur square central sur lequel apparaît le nom des disparus. Morts pour la patrie, peut-on y lire. L'Angleterre connaît le même phénomène avec l'édification de cénotaphes dans les grandes villes et certaines localités. For the glorious dead, y lit-on également. Les deux pays choisissent aussi de commémorer le sacrifice du soldat inconnu. Le 11 Novembre 1920, les Français enterrent un soldat anonyme provenant de Verdun sous l'Arc de Triomphe. Les Britanniques font de même en acheminant le corps d'un anonyme d'un champ de bataille des Flandres pour l'inhumer dans la cathédrale de Westminster. À Verdun, les nombreux sites d'ensevelissement ont été réaménagés; ceux contenant des dépouilles identifiables sont réenterrées avec croix sur la tombe, tandis que les corps et lambeaux non-identifiables sont placés dans des ossuaires comme ceux de Douaumont, Dormans et Hartmannswillerkopf qui seront des lieux de pèlerinage rituels durant de nombreuses années. Ainsi, la date du 11 Novembre demeure l'une des plus solennelles.
__
Monument aux morts français – Cénotaphe britannique – Pèlerinage à Verdun en 1920
Sur le front oriental, les peuples n'ont pas le temps de se préoccuper de la mémoire de leurs chers disparus car les nouveaux États sont déjà aux prises avec de nombreux problèmes politiques et sociaux: guerre civile en Russie et Finlande, déplacements de population, disettes alimentaires et insécurité quant à la refonte de la vie politique. Cependant, des pays comme la Serbie et la Roumanie commémorent annuellement l'armistice du 11 Novembre 1918.
________
Un traité de paix définitif
L'armistice signé le 11 Novembre 1918 tient le coup. L'Allemagne en proie à l'instabilité révolutionnaire ne donne aucun signe belliqueux à l'égard des pays de l'Entente. Des contingents alliés s'installent en Rhénanie occidentale ainsi qu'à Mayence, Coblence et Cologne. Le gouvernernement Ebert sera contraint de signer une paix définitive pour une seule raison: la faim – il faut sauver le pays, quitte à signer sous des conditions inacceptables. Un défi de taille attend les délégués qui se réunissent à Paris pour élaborer le traité de paix. Notons qu'avant l'armistice de 1918, de nombreuses voix exigeaient des réclamations les plus variées: La Chine aux Chinois, un Kurdistan indépendant, une renaissance de la Pologne, etc. Les États-Unis doivent-ils devenir le nouveau gendarme international ou rester isolés? Doit-on ou non aider la Russie bolchevique? Les délégations présentes à Paris constatent l'étendue des récriminations: entre Croates et Serbes, entre Tchèques et Slovaques, entre Arabes et Juifs, entre Chinois et Japonais. Elles constatent d'autres appréhensions: l'Occident craignant le bolchevisme; l'Orient qui craint le matérialisme occidental; l'Europe perdant du poids sur le plan international; l'Afrique qui se dit oubliée. Cette fébrilité avec ses anticipations ressemble au climat politique à la fin de la Guerre froide – sauf qu'en 1989 il n'y aura pas de conférence de Paix: les chefs d'État se réunissent durant trois jours puis repartent. En 1919, les négociations vont durer plusieurs mois et les délégués vont besogner très fort...
_
Soldats français à Coblence – Des négociateurs en atelier de travail au Quai d'Orsay
Plusieurs États seront démantelés dont l'Autriche-Hongrie. L'Autriche devient une république qui n'a comme pourtour que sa partie germanophone, ce qui en fait une entité peu viable sur le plan économique. La Hongrie est redécoupée dans sa composante magyare et devient un pays entièrement agricole sans accès à la mer et entourée de nouveaux pays potentiellement hostiles. La Bulgarie perd son accès à la Mer Égée tandis que la Grèce récupère la Thrace. L'Empire ottoman n'existe plus et ne conserve en Europe que Constantinople. Ses possessions deviennent soit des États indépendants (péninsule arabique) ou des mandats de la Société des Nations administrés par l'Angleterre et la France. Le traité de paix définitif va également créer d'autres nouveaux États: le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes qui rassemble les "yougoslavos" (les Slaves du Sud), le 3 Octobre 1919. À Zagreb, un Comité national s'est réuni pour remplacer l'autorité austro-hongroise en acceptant le prince-régent Alexandre comme chef d'État. Cette nouvelle entité appelée Yougoslavie est une courtepointe comprenant la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie, l'Herzégovine, la Macédoine et le Monténégro. Le traité de paix définitif fera renaître la Pologne qui dispose désormais d'un accès à la mer par l'établissement d'un lien terrestre – le corridor – qui lie le nouveau pays à la ville allemande de Dantzig (Gdanzk). Cependant, le traité ne sera pas en mesure de tracer définitivement sa frontière avec la Russie et il faudra attendre le dénouement de la Guerre russo-polonaise de 1921. Une autre "amanchure" politique à composantes incertaines sera également créée: la Tchéco-Slovaquie, qui comprend la Bohême, la Moravie, la Slovaquie et la Ruthénie (Ukraine sub-carpathique). Durant leurs travaux, les délégués réunis à Paris n'ont pas tout à fait saisi la complexité de tracer de nouvelles frontières et la difficulté de faire cohabiter des peuples à l'intérieur de nouveaux espaces dits "nationaux".
_
Le général polonais Pilsudski en 1919 – Un nouveau territoire pour les Slaves du Sud
Fait à noter, les problèmes des négociateurs présents au Congrès de Vienne de 1815 étaient très simples comparés à ceux gérés à Paris en 1919. En 1815, lord Castlereagh était accompagné de 14 fonctionnaires, tandis que la délégation britannique de 1919 en amenait 400... En 1815, les dossiers étaient réglés discrètement tandis que la presse est omniprésente en 1919. À Paris, les délégués de 27 pays sont présents – parmi lesquels ceux de pays qui n'existaient pas comme tels en 1815 (Italie, Serbie, Roumanie). Le Congrès de Vienne ne s'intéressait qu'aux questions européennes, alors que la Conférence de 1919 traite de dossiers internationaux sur deux hémisphères. En 1919, il y aura deux réalités distinctes qui ne se mêlent pas: celle des négociateurs qui besognent à Paris et celle qui se découvre sur le terrain – là où les peuples prennent leurs affaires en main... En conséquence, les décisions prises à Paris seront souvent sans effet sur place. Les puissances victorieuses vont manquer de volonté pour appliquer certaines décisions en des lieux où il faut imposer l'autorité du traité. Il ne faut pas oublier que l'Europe épuisée par la guerre ne peut plus demander aux populations de payer le prix de l'exercice de la puissance en envoyant au besoin des troupes imposer le traité aux récalcitrants: les vainqueurs et vaincus démobilisent et les contribuables exigent la fin des aventures étrangères...
Les 14 Points
La conclusion d'un armistice entre les belligérants de la Première Guerre mondiale ne peut être comprise sans examiner le rôle du président américain Wilson. Les 14 Points est le nom donné au programme du président américain Thomas Woodrow Wilson dans son discours retentissant du 8 Janvier 1918 pour mettre fin à la guerre, reconstruire l'Europe et garantir la paix via un organisme supranational appelé Société des Nations. Clémenceau se montre plutôt sceptique: Je ne crois pas que la Société des Nations soit la conclusion naturelle de la guerre actuelle et je vais vous dire mes raisons. C'est que si demain vous me proposiez de faire entrer l'Allemagne dans la SDN, je n'y consentirais pas. Car quelles garanties pourriez-vous m'offrir? La garantie d'une signature? Allez demander aux Belges ce qu'ils pensent de la signature de l'Allemagne. C'est pourquoi vous êtes toujours obligés de commencer par dire: L'Allemagne brisera elle-même le militarisme prussien, grogne-t-il. En fait, Clemenceau craint beaucoup plus les réactions des Poilus que celles de Wilson. Bien que beaucoup de points soient spécifiques, les cinq premiers étaient plus généraux, incluant le libre-accès à la mer, l'abolition de la diplomatie secrète, le désarmement, la restitution des souverainetés sur les terres occupées, comme l'Alsace-Lorraine pour la France, le droit à l'auto-détermination nationale, etc.
_
Clemenceau veut afficher la puissance française – Wilson et Poincaré
Ledit discours a été rédigé sans que Wilson ne demande l'avis de ses homologues de l'Entente. Il se caractérise par son idéalisme ainsi que par son désir d'arbitrer les conflits à venir par le biais d'une organisation supranationale: la Société des Nations. Wilson réussira à faire passer une partie de son programme dans le traité de Versailles. Cependant, en dépit de cet idéalisme, l'Europe d'après-guerre n'adoptera que quatre des 14 Points. Le bel idéalisme wilsonien va se heurter au réalisme politique des Français et des Britanniques qui ne veulent pas être évincés des fruits de la victoire prochaine. De surcroît, les Franco-Britanniques sont déjà endettés envers les États-Unis, et craignent que le libéralisme économique qui accompagne ce bel idéalisme américain ne soit qu'un moyen de saper leurs acquis coloniaux.
_
L'Europe en 1914 – L'Europe en 1919
Wilson devant ses partenaires
Certaines personnalités eurent une influence déterminante. On retient habituellement le nom des dirigeants de quatre des principales puissances victorieuses: Lloyd George, Premier ministre britannique, Vittorio Orlando, Président du Conseil italien, Georges Clemenceau, son homologue français et Woodrow Wilson, le président américain. Ce dernier arrive à Paris avec sa délégation de 150 fonctionnaires civils et militaires. Il s'agit de la première visite en France d'un président en exercice et il restera jusqu'en Février 1919 avant de retourner aux États-Unis jusqu'en Juin, puis revenir pour la signature finale du traité de paix. Wilson avait déjà une bonne renommée en Europe car c'est lui qui avait posé les conditions de l'armistice signé en 1918. Il se voit le grand courtier de la paix mondiale car le contenu de ses 14 Points est connu jusqu'en Asie. Cet avocat originaire du Sud des États-Unis est sûr de son bon droit et n'est pas homme à pardonner à ses détracteurs. Dans ses efforts de concocter une paix juste, Wilson a écarté les politiciens du Parti républicain ce qui affaiblira sa position durant les négociations de Paris. Son langage idéaliste est un peu semblable à la Bible et ennuiera profondément les diplomates de carrière européens qui carburent au réalisme politique: who is this preacher?, se disent-ils. Le prêcheur Wilson fait savoir sans ambiguïté que la position des États-Unis sera celle d'un arbitre qui traitera chaque acteur comme une entité égale sur le plan international – une attitude qu'il croit à la hauteur des traditions américaines. L'unicité de cet État émergent américain ne réclamera ni tribut ni revanche. La Première Guerre mondiale a fait des États-Unis le banquier du monde et le créancier de tous les États européens – à commencer par ceux de l'Entente victorieuse – qui doivent désormais faire profil bas: L'Entente doit $7 milliards aux États-Unis, dont $3 milliards aux seules banques américaines...
_
Lloyd George, Orlando, Clemenceau et Wilson – Le défilé de la victoire à Paris
Chaque représentant est libre de travailler à la rédaction du traité, mais les positions de ces hommes divergent. Le président américain, Woodrow Wilson, veut mettre en place la nouvelle politique internationale dont il a exposé les principes directeurs dans ses 14 Points. Pour lui, la nouvelle diplomatie doit être fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et sur la collaboration entre États. Il dispose d'un grand prestige et d'un poids politique considérable car ses troupes ont grandement contribué à la victoire finale des alliés. Il cherche à ménager l'Allemagne pour éviter qu'un esprit revanchard ne s'y développe. Les responsables anglais tiennent aussi à laisser à l'Allemagne une certaine puissance. Fidèles à leur théorie d'équilibre entre les puissances, ils tiennent à empêcher la France d'acquérir une hégémonie en Europe continentale. Clemenceau, au contraire, cherche à imposer de lourdes indemnités pour limiter la puissance économique et politique de l'Allemagne, et pour financer la reconstruction de la France. Pas question d'une paix sans indemnités de la part du vaincu. Une phrase célèbre résume sa pensée durant les négociations: l'Allemagne paiera, paiera cher et paiera longtemps... Qui plus est, la délégation britannique n'en avait rien à faire des "propositions hallucinantes" de ce nouveau venu américain. C'est ainsi que les compromis trouvés ne pouvaient pleinement satisfaire personne. Wilson a beau essayer de pressurer ses homologues à définir une paix moins revancharde en laissant planer des représailles économiques, rien n'y fait. Clemenceau ne se gène pas pour le qualifier de "pro-allemand", ce à quoi Wilson lui répond: je ne suis pas pro-allemand mais celui qui paie votre effort de guerre depuis plus de deux ans. À l'avenir, veuillez vous en rappeler... Entre son arrivée à Douvres jusqu'à la signature du traité, Wilson est témoin de l'appétit des diplomates franco-anglais qui vont cisailler ses 14 Points les uns après les autres. Au moment des signatures, il ne lui restera que le projet d'une Société des nations.
_
L'arrivée des vainqueurs – Ça parle dur et fort
En fait, le problème de Wilson c'est qu'il n'a jamais appris ne serait-ce que les rudiments de la négociation diplomatique avec des alliés bien rompus autant à cet art qu'à la sauvegarde de leurs intérêts. En diplomatie, tout repose sur du "give and take": c'est-à-dire céder l'accessoire pour privilégier l'essentiel. Tout comme à la guerre, la diplomatie consiste à gérer des circonstances. Cependant, la position idéaliste du président américain l'handicapait devant Lloyd George et Clemenceau. Au lieu d'agir avec finesse, Wilson prêchait comme un pasteur, car il était convaincu que la meilleure façon de faire valoir son point de vue était de le marteler à son interlocuteur jusqu'à ce qu'il "comprenne". Mal lui en prit. À la mi-Février 1919, les Brits et les Français ont réussi à esquiver ses feintes ce qui rend le président très amer et désilusionné envers les Européens. Wilson se retire des négociations: je ne peux plus continuer à m'époumonner comme cela avec de pareilles gens. C'est une perte de temps. Retournons chez nous. Le départ de Wilson permet aux négociateurs français de s'imposer temporairement, sauf que Clemenceau est victime d'un attentat raté le 19 Février; il retourne à la négociation affaibli physiquement. C'est sur le chemin du retour en mer que Wilson subit un malaise cardiaque. L'adjoint présidentiel, le colonel House, le console par une phrase très prophétique: ne vous en faites pas pour la suite des choses. Laissons-les disséquer l'Europe épuisée. Avant même qu'ils s'en aperçoivent, ils seront financièrement à notre merci...
________
Contenu du traité
La première partie de la Conférence de Paris établit la charte pour une Société des Nations. Elle reprend l'idéal wilsonien d'une diplomatie ouverte, et régulée par un droit international. La treizième partie pose les principes d'une Organisation internationale du travail. Le reste du traité est essentiellement consacré aux conditions de la paix en Europe. Un principe, énoncé à l'article 231, structure l'ensemble: l'Allemagne et ses alliés sont déclarés seuls responsables des dommages de la guerre. Ce principe justifie les exigences très lourdes des vainqueurs à l'égard de l'Allemagne. Les principales dispositions du traité sont:
Remaniements territoriaux – la seconde partie du traité définit les frontières de l'Allemagne, mais dans plusieurs régions, le tracé définitif est remis à plus tard. L'indépendance des nouveaux états de Pologne et de Tchécoslovaquie est également affirmée. L'indépendance de l'Autriche est également protégée: il est explicitement interdit à l'Allemagne de l'annexer (art. 80).
L'Allemagne se voit amputée de 15% de son territoire et de 10% de sa population au profit de la France, de la Belgique, du Danemark, et surtout de la Pologne, nouvellement recréée. Les principales transformations territoriales sont:
_
Une futur casus belli: Danzig et son corridor – Marins allemands quittant un navire à Scapa Flow
Clauses militaires – De nombreuses mesures sont prises pour limiter le pouvoir militaire de l'Allemagne et ainsi protéger les États voisins. Les clauses militaires forment la cinquième partie du traité. Les voici:
Clauses économiques – Suite aux dommages de guerre causés pendant toute la durée de la guerre dans le Nord de la France et en Belgique, l'Allemagne – considérée comme seule responsable de la guerre –, devra payer de fortes réparations à ces deux pays. La montant à payer est fixé par une commission en 1921. Il s'élève à 132 milliards de marks-or ce qui était une somme réellement élevée. Le montant total des dommages causées par la guerre aux alliés étaient toutefois estimées à 150 milliards de marks-or.
Les territoires perdus par l'Allemagne en 1919
Plusieurs sanctions commerciales et des livraisons en nature complètent ce volet économique: L'Allemagne perd la propriété de tous ses brevets. L'exemple typique est la saisie du brevet de l'analgésique Aspirine, manufacturé par la firme Bayer. Les fleuves Rhin, Oder, Elbe sont internationalisés et l'Allemagne doit admettre les marchandises en provenance d'Alsace- Lorraine et de Posnanie sans droits de douane. En outre, le pays doit livrer aux Alliés du matériel et des produits agricoles.
________
Annexes
Des traités annexes au traité de Versailles furent signés séparément avec chacun des vaincus. Les traités de Saint-Germain-en-Laye puis du Trianon avec l'Autriche-Hongrie. Cette dernière qui avait toujours été le cauchemar de la diplomatie française depuis Richelieu sera dépecée en quelques morceaux:
________
Son déroulement
La Conférence de Paris s'ouvre le 18 Janvier 1919 au Quai d'Orsay. Il y a la formation d'un Conseil suprême formé des 4 négociateurs en chef sans leur ministre des Affaires étrangères – ce sera les négociations dites "au sommet" menées par les 4 chefs d'État victorieux. Les autres pays participants établissent des conseils sectoriels pour aborder et régler des problèmes ponctuels et secondaires. Peu importe l'importance des États participants: Il leur faut agir vite car la guerre est terminée et les événements devancent leurs éventuelles décisions. Qui plus est, la démobilisation de l'armée américaine et son retour rapide aux États-Unis va réduire le pouvoir des vainqueurs pour imposer la paix. Les quatre vainqueurs sont confrontés à gérer rapidement le chaos de l'économie des pays vaincus qui ont besoin de 200,000 tonnes de blé et 70,000 tonnes de viande par mois. Durant l'élaboration du traité, les quatre grands ne veulent pas être charriés par les petits États et dicteront l'échéancier: d'abord fixer les conditions dudit traité et faire plénière pour "discuter" avec les vaincus. Cependant, le tollé est si fort chez les autres pays présents qu'ils participeront à tous les travaux: il y a de nombreux dossiers à traiter sur trois continents, disent les fonctionnaires africains, arabes, orientaux et latino-américains. Néanmoins, les négociations au sommet auront préséance sur les multiples négociations sectorielles de ce printemps 1919.
Les négociateurs ont du pain sur la planche...
Durant les négociations au sommet, Clemenceau apparaît plus préoccupé d'obtenir un compromis durable que de jouer au boutefeu intransigeant. Il reste méfiant face à l'idéalisme de Wilson et n'en a rien à faire de la Société des Nations proposée par ce dernier. Les Britanniques sont plus soucieux des problèmes domestiques que du déroulement de la conférence – entre autres la grogne d'un million de chômeurs sans aide financière. Lloyd-George est pris entre deux feux. L'opinion publique l'accuse de ne pas être assez dur envers l'Allemagne. Selon l'avis des négociateurs britanniques, le plus grand danger vient de la Russie bolchevique et de son expansion appréhendée en Europe. Cependant, l'analyse que Lloyd-George fait de la situation est plus juste que celle de Clemenceau mais il va errer quant au rôle que pourrait jouer les États-Unis et la SDN. Durant les premières semaines de la conférence de paix, c'est Wilson qui domine les travaux par sa clairvoyance et son style flamboyant repris par les journaux. Il fait de la Société des Nations son affaire personnelle et ses 14 Points vont demeurer la référence à toutes les tractations diplomatiques. Pour ce qui est de la Russie bolchevique, Wilson lui est moins hostile que les autres pays européens. Il explique que son intervention militaire en Sibérie avait pour objectif premier de contrecarrer l'action des Japonais plutôt que de manifester de l'hostilité aux Soviétiques. Mais la crainte révolutionnaire demeure présente durant la conférence de paix. La situation politique en Italie inquiète les négociateurs de Paris qui acceptent de laisser quelques bricoles territoriales aux Italiens pour calmer leur mauvaise humeur, comme l'île de Rhodes et un morceau de territoire anatolien qu'ils ne pourront pas garder longtemps.
_
Le colonel House et Wilson – Lloyd George en atelier avec d'autres délégués
Le dossier de l'autodétermination des peuples a été l'idée la plus controversée ainsi que l'obsession de Wilson. Il ne faut pas oublier que le président américain a peu réfléchi sur l'idée de nation, sur l'autonomie et l'ethnicité dans les entités multinationales. Devant les Français et les Britanniques qui veulent protéger leurs intérêts à tout prix (et qui craignent déjà une renaissance nationale allemande), Wilson veut rendre les guerres plus compliquées via un désarmement général progressif. Il préfère cette approche à des indemnités de guerre exigées aux vaincus. Fait à noter, la position des États-Unis en 1919 n'a rien à voir avec celle qu'ils auront sur la scène internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, les Américains sont l'unique superpuissance devant une Europe en ruines mais en 1919, ils ont un pouvoir à peine supérieur à celui de leurs partenaires européens. Pour se gagner un petit avantage diplomatique, Wilson pourra quand même compter sur l'appui de Lloyd George dans la création de la SDN, car il est désireux de rester dans les bonnes grâces des États-Unis. Aristide Briand est lui aussi favorable à ce projet supranational, la gauche européenne aussi, sauf que les délégués se questionnent sur la forme qu'elle prendra: Super État? Club de chefs d'États? Une sorte de Congrès multinational que l'on convoquera en cas de crise mondiale majeure? Wilson reste étrangement timoré et embêté pour préciser son projet qu'il a mal préparé. Heureusement pour lui que le général sud-africain Smuts l'aide dans l'élaboration concrète: un secrétariat, mandats pour les peuples, et assemblée. La France accepterait l'idée d'une SDN qui devrait opérer comme un système judiciaire moderne et intervenir avec force. D'autres diplomates britanniques et orientaux y voient plutôt un stratagème des Américains et des Français pour organiser une coalition permanente d'états belliqueux contre l'Allemagne. Un tel organisme est très bien, mais il ne faut pas gêner les intérêts de la France, déclare Foch aux journalistes.
_
La Société des Nations va-t-elle éclore? – Le retour de Wilson aux États-Unis est presque vénéré
Le 14 Février 1919, la SDN est une réalité avec ses institutions et tous ses membres s'engagent à respecter l'indépendance des États. Le problème est qu'elle n'a ni armée ni arbitrage obligatoire des conflits, et encore moins de projet de désarmement progressif. L'adhésion de l'Allemagne a été reportée ultérieurement pour plaire aux Français et Britanniques. Wilson, amer, éreinté et désabusé, retourne aux États-Unis avec le sentiment du "devoir accompli", surtout lorsqu'il s'aperçoit que ses alliés s'obstinent à partager les biens des vaincus: la France veut le Togo, l'Italie, la Somalie, les Britanniques, la Namibie, l'Australie, la Nouvelle-Guinée, tandis que les Chinois veulent récupérer la concession allemande établie sur son sol depuis le XIXè siècle et tenir les Japonais à bout de bras. Peu avant son retour aux États-Unis, Wilson avait trouvé l'idée du mandat pour gérer ces territoires sous tutelle repris à la Triplice. Cependant, le président américain et ses fonctionnaires peu imaginatifs restent toujours vagues sur la portée des mandats, si ce n'est qu'ils seront confiés à la SDN et, de facto, officialiseront les gains militaires de l'Entente sur leurs adversaires depuis 1914.
Négociateurs étourdis
De fait, les Japonais se font confirmer les possessions maritimes prises aux Allemands dans le Pacifique-Centre, tout comme les Australiens dans le Pacifique-Sud dès 1914. La France et l'Angleterre se partagent les anciennes colonies allemandes africaines. Lorsqu'une signature est conclue entre partenaires alliés, une copie est remise au nouveau bureau de la SDN mais, en fait, les pays préfèrent régler leurs affaires eux-mêmes sans obtenir l'aval de "la création" de Wilson... Les migraines des négociateurs vont s'accentuer dans les dossiers balkaniques. De Mars à Juin, ces derniers finalisent discrètement plusieurs dossiers. Fait à noter, toutes les décisions importantes sont prises non pas dans les lieux officiels du Quai d'Orsay mais pendant les déjeuners de travail dans la salle à dîner du restaurant Maxim's. En Avril, Lloyd George est inquiet des négociations portant sur le sort de l'Allemagne. L'opinion publique britannique exige le retour des Tommies et est favorable à une attitude modérée vis-à-vis le vaincu: l'Allemagne doit payer mais sans être traitée durement. Les Britanniques écoeurés par la guerre veulent se désengager du continent et de ses problèmes. Quant à la renaissance polonaise précitée, elle n'intéresse pas les Britanniques même si les Français l'appuient. Déjà en Janvier, Wilson avait été approché par le pianiste polonais Paderweski pour plaider la cause polonaise et arbitrer les vues politiques de deux rivaux potentiels – Dmowski et Pidsulki – dans la création du futur État. La nouvelle Pologne (ci-contre) sera un méli-mélo ethnique composé de Polonais, de Lithuaniens, d'Ukrainiens, de Moraviens, de Juifs et même de russophones. Les négociateurs de Paris vont donner 30% de la Silésie (riche en ressources minières) à la Pologne, ce qui déplait aux Allemands.
La création de l'ensemble tchécoslovaque ne pose pas de problèmes pour les négociateurs parce que les Tchèques et les Slovaques sont perçus comme de "vrais occidentaux". Ses frontières sont tissées au début de Mai 1919 sauf qu'elles ne tiennent pas compte de deux facteurs: la réticence des Slovaques (plus pauvres) à accepter presque contre leur gré une sorte d'union fédérale avec les Tchèques de Moravie (plus prospères et industrialisés). De surcroît, le nouvel État comprend le territoire des Sudètes qui est en fait une enclave germanophone où vivent 3 millions d'Allemands. Quant à l'Autriche devenue une république, elle n'est pas assez viable économiquement pour payer des indemnités aux vainqueurs. Les Autrichiens sont plus favorables à s'annexer avec l'Allemagne qu'à mener leur propre vie politique comme État souverain. Cependant, les négociateurs de Paris ont été très clairs à l'égard du gouvernement autrichien: pas question que votre pays se fusionne avec l'Allemagne, leur disent-ils. Le premier ministre Renner signe un simulacre de traité qui va lui garantir l'indépendance autrichienne; en contrepartie, l'Autriche ne versera pas d'indemnités aux vainqueurs. Quant à la petite Belgique qui avait subi l'occupation allemande, elle exige que l'Allemagne lui verse des indemnités pour les souffrances subies sous le règne de la kommandantur ennemie. Ce pays avait été siphonné de ses ressources industrielles et agricoles et Bruxelles exigeait une compensation financière. Pour mettre un peu de pression, les négociateurs belges affirment que la Belgique ne signera pas la paix si l'Allemagne ne paie pas. Les négociateurs de Paris acceptent. Le 29 Avril, la Belgique recevra le premier versement de $500 millions dès que les vainqueurs se concerteront sur les réparations que l'Allemagne paiera. Entretemps, les travaux sur le traité de paix usent les négociateurs. Les comités sont surchargés de travail. Lloyd George demeure le plus optimiste et le plus vigoureux. Clemenceau se remet de ses blessures et Wilson qui revient à Paris en Mai a vieilli prématurément. Néanmoins, les différentes clauses sont rédigées clairement et assureront une formulation cohérente que les négociateurs présenteront aux vaincus.
_________
Les colonies
Les colonies ont été essentielles à l'effort de guerre de l'Entente car elles ont à la fois fourni des soldats et de la main-d'œuvre sur les fronts principaux et secondaires. Les colonies françaises ont fourni 928,000 hommes dont environ 600,000 soldats et les colonies britanniques 1.5 million – surtout en provenance de l'Inde. La plupart d'entre eux étaient des engagés volontaires, surtout à cause du chômage ou de la faim. Le prix qu'ils ont payé durant les combats a été important: 26,000 Algériens, 10,500 Tunisiens, environ 37,000 Africains et Malgaches, 1,200 Indochinois, 60,000 Indiens, 58,000 Australiens, 57,000 Canadiens, 16,700 Néo-zélandais et 7,000 Sud-Africains. Les gouvernements de l'Entente accordent quelques gages aux colonisés. Le général Smuts affirme à Paris que l'Empire britannique évoluera vers un véritable "Commonwealth des nations". Clemenceau adopte des réformes fiscales et politiques qui réduisent les impôts dans les territoires outre-mer tout en facilitant l'accès à la citoyenneté française pour ceux qui ont servi sous les drapeaux. Malgré leur contribution à la victoire de l'Entente, il est hors de question d'accorder une autonomie politique avancée ou l'indépendance. En 1919, le jeune cuisinier Nguyen Ai Quoc présente les revendications vietnamiennes devant les négociateurs de Paris qui restent sourds. Ce délégué prendra ultérieurement le nom de guerre de Ho Chi Minh… Il est curieux que la période d'affirmation du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes vanté par Wilson soit aussi celle où le système colonial va se renforcer suite au traité de Versailles.
_
Des soldats indochinois à Salonique en 1916 – Soldats nigériens et officiers britanniques en 1914
La France et l'Angleterre voient leur empire colonial s'agrandir malgré le fait qu'ils n'auront pas assez de liquidités et de moins en moins de ressources pour l'administrer convenablement. La cause principale est lié à l'endettement contracté vis-à-vis les États-Unis. Si le sort colonial de l'Afrique semble provisoirement scellé, celui du Moyen-Orient demeure incertain. Comment réagira l'Irak devant l'Angleterre qui vient d'y découvrir des gisements pétroliers? Les Britanniques pourront-ils gouverner la Palestine en minimisant les heurts avec les Arabes?
_________
Les réparations
Pour Clemenceau, la France exige sécurité et réparations car, à ses yeux, l'Allemagne est la seule responsable du conflit – selon l'article 232 du futur traité de paix. Les négociateurs ne savent pas exactement sur quel pied danser dans ce dossier. Ils doivent définir ce que sont les dommages dits "punitifs" (ou indemnités), car ceux-ci étaient destinées à la reconstruction et l'indemnisation des familles qui avaient été endeuillées par la guerre. L'article ouvrant la section des réparations – l'article 231 – va servir de base juridique pour les articles suivants, qui obligent l'Allemagne à verser une indemnité et limitent la responsabilité allemande aux dommages civils. La même clause fut incorporée aux traités complémentaires signés lors de la conférence de paix. En Février 1919, le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères, le comte Von Brockdorff-Lanzau informe l'Assembée de Weimar que l'Allemagne aurait à payer des réparations pour les dégâts causés par la guerre, mais ne paierait pas pour les frais de guerre. Cependant, une erreur de traduction dans la rédaction de l'article 231 indique plutôt que: L'Allemagne admet, que l'Allemagne et ses alliés, comme auteurs de la guerre, sont responsables des pertes et des dommages... Oupps. L'erreur de traduction n'est pas corrigée. Les parlementaires allemands se voient obligés de signer une paix qui abandonnera l'honneur du pays sur l'autel des vainqueurs. À la suite de la rédaction du traité de Versailles, les délégations allemandes et alliées se rencontrent le 7 Mai à Paris et le traité fut remis en français et en anglais. Lors de cette réunion Brockdorff-Lanzau déclara que: Vous y allez un peu fort en nous accusant d'être les seuls responsables de cette terrible guerre. Nous savons l'intensité de la haine qui nous réunit et nous avons entendu la demande passionnée que les vaincus devront payer, et que les coupables seront punis... Cependant, il nie vigoureusement que l'Allemagne était la seule responsable de la guerre – et il avait raison. Brockdorff-Lanzau s'attendait à ce que l'Allemagne verse quelques indemnités de compensation mais non pas à rembourser l'intégralité des dépenses de guerre. Le diplomate américain Desel lui répond: si vous refusez de payer alors ce sera la victoire du bolchevisme. Vae victis...
_
Matériel agricole allemand remis aux vainqueurs – Unité française occupant Dortmund (1923)
Des convois ferroviaires chargés d'outillages agricoles et industriels entrent en France pour être partagés par les vainqueurs. Le matériel militaire allemand qui n'est pas partagé est mené à la casse; on brûle les avions à tout-va. L'Allemagne pouvait payer en nature ou en espèces. Les produits, pour les paiements en nature, incluaient notamment le charbon, le bois, les colorants chimiques, les produits pharmaceutiques, le bétail, les machines agricoles, les matériaux de construction, et les machines-outils. Une mission interalliée du contrôle des usines et des mines (ou MICUM) est créée pour superviser les productions affectées au paiement des réparations. La valeur en or de ces produits sera déduite de ce que l'Allemagne devra payer. Du matériel ferroviaire est également saisi, sauf que les fonctionnaires américains font savoir aux négociateurs qu'il sera difficile pour l'Allemagne de réparer les pots cassés si elle ne dispose pas de ses locomotives pour acheminer produits et denrées comme paiements de guerre. Les Américains redonnent à l'Allemagne le matériel ferroviaire qu'ils ont saisi en préférant plutôt saisir les brevets technologiques allemands importants et en monnayant ultérieurement les recettes (celui de l'aspirine Bayer , entre autres).
Le paiement de ces réparations représentait une lourde charge pour l'Allemagne de Weimar. En proie à de graves difficultés alimentaires et financières, elle se révèle vite incapable d'y faire face. Les alliés demandent alors un plus grand nombre de llivraisons en nature. Face aux retards de livraison allemande, la France et la Belgique envahissent la Ruhr en 1923 (image ci-haut à droite), ce qui aggrave encore la déstabilisation économique de l'Allemagne. Toutefois, les difficultés ne sont pas réglées. Sous la direction américaine, le plan Dawes est alors élaboré. Il facilite les conditions de remboursement pour l'Allemagne. Cependant, la charge apparaît encore trop lourde ce qui conduit à l'élaboration d'un nouveau plan, le plan Young, en 1929. Les dettes allemandes sont alors réduites et rééchelonnées de manière considérable. En Allemagne, les réparations font, tout au long de la période, l'objet de vives contestations politiques et alimentent un vif ressentiment. En 1929, une pétition aboutit, contre l'avis du gouvernement, à soumettre à référendum un projet de loi qui annule le paiement de dettes. Cependant, la participation au référendum fut très faible et le projet fut rejeté à près de 95%.
La dynamique des réparations selon les plans Dawes & Young
Selon les termes du plan Young, le paiement des réparations devait s'échelonner jusqu'en 1983, mais avec la grande Dépression, les versements furent interrompus (moratoire Hoover en 1931). Dans les faits, l'Allemagne affaiblie ne paiera que très peu d'indemnités à ses vainqueurs. En 1933, les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne, et rejettent toute idée de remboursement. Les paiements sont définitivement arrêtés. Par la suite, la politique expansionniste du IIIème Reich scellera définitivement le sort du Traité de Versailles.
_________
La signature du traité
Le 17 Juin 1919 , après 6 mois de débats, les vainqueurs peuvent transmettre au gouvernement allemand le mémorandum définitif du traité. Les clauses sont très dures pour le vaincu même si Clemenceau n'a pu obtenir satisfaction de toutes ses exigences pour un affaiblissement complet de l'Allemagne. L'avenir de deux territoires allemands reste incertain: la Sarre à l'Ouest est placée sous contrôle de la SDN pour une durée de quinze ans au terme duquel un plébiscite doit être organisé. Pire encore, le mémorandum fait l'erreur de mettre l'entière responsabilité de la guerre sur les vaincus, à commencer par l'Allemagne. Lorsque les vaincus se présentent à Paris, ils rejettent le mémorandum des vainqueurs qu'ils qualifient de document de haine et d'aveuglement en contradiction avec les bases d'une paix de justice telle que proposée par les 14 Points du président Wilson. Au Parlement allemand, le député socialiste Haase affirme qu'il faut accepter ces conditions parce que la révolution prolétarienne annulera bientôt pareil traité, dit-il. Les Allemands ne sont pas en mesure de s'opposer à une éventuelle occupation militaire d'une partie de leur pays. Le président Ebert sait que Foch élabore des plans en ce sens et coupe court à tous ces atermoiements en proposant aux députés de l'opposition de former un autre gouvernement et d'assumer les conséquences d'un refus. Ceux-ci firent immédiatement profil bas… Le 28 Juin, la délégation allemande signe la capitulation dans la Galerie des Glaces du château de Versailles devant un important cortège de personnalités internationales (clip ci-bas à gauche).
_
L'émissaire Brockdorff-Lanzau est en colère – Signature du traité à Versailles
Le plénipotentiaire Brockdorff-Lanzau est très mécontent et est très clair à l'égard des vainqueurs: vous ne nous referez pas ce coup-là deux fois, dit-il. Ce n'est pas moi qui signe mais une nation humiliée. En Allemagne, Brockdorff-Lanzau est applaudi par la population allemande pour son comportement à Versailles mais le traité est accueilli avec une violente hostilité ("diktat") et compromet dès le départ l'existence du nouveau régime de Weimar, qui reste pour toujours celui qui a accepté l'humiliation de Versailles. Au sein du camp victorieux, des voix s'élèvent rapidement pour dénoncer les conditions trop dures du traité (l'économiste anglais Keynes publie en 1920 son livre Les Conséquences économiques de la paix. Qu'importe. Clemenceau et Lloyd George font ratifier le traité de Versailles par leurs parlements. Il en est de même pour les autres pays participants.
Traités complémentaires
Un dicton populaire affirme que le Diable se cache souvent dans les détails... En guise de preuve à cette affirmation, le traité de Versailles a été complété par la signature de traités sectoriels comme celui de Saint-Germain-en-Laye qui concrétise la disparition de l'Empire austro-hongrois et la naissance d'une Autriche républicaine sans rattachement à l'Allemagne. Le traité de Trianon est signé le 4 juin 1920 pour sceller le sort d'une Hongrie qui n'intéresse personne en 1918 et qui dépouille le nouveau pays de la Ruthénie, de la Slovaquie et de la Transylvannie. Ce traité avait le désavantage de disperser un million de Magyars dans les pays voisins au grand mécontentement de Budapest. La colère des Hongrois rejoint celle des Bulgares via la signature du traité de Neuilly en Novembre 1919 qui ramène le pays à ses frontières de 1913 en perdant la Macédoine. Ces deux pays lésés deviendront des alliés de la future Allemagne nazie.
Les nouveaux États européens en 1923
Les États-Unis n'ont pas fait la guerre à l'Empire ottoman même si ce dernier faisait partie de la Triplice, sauf que les sentiments de Wilson à l'égard de la Turquie étaient très négatifs. Wilson avait déjà accepté les accords préliminaires Sykes-Picot en 1916 sur le partage du Moyen-Orient. L'arbitrage américain va officialiser la présence grecque à Smyrne (Izmir), et internationaliser le passage des détroits démilitarisés, la perte de la Thrace, du Dodécanèse, de Rhodes via la signature du traité de Sèvres en Avril 1920. Ce traité réduit la Turquie au seul territoire anatolien (lui-même scindé en portions administrées par les Britanniques et les Italiens) et oblige Istanbul à reconnaître l'indépendance de l'Arménie. La Turquie voit également ses finances contrôlées par les vainqueurs. Les Turcs se sentent humiliés et l'arbitrage américain ne fonctionnera pas. Ces clauses humiliantes seront imposées par un ultimatum que rejettera Mustafa Kémal. Une guerre d'indépendance éclatera en 1920 et aboutira à la création de la nouvelle République turque en 1922. Suite à la naissance de la nouvelle Turquie, Kémal se rnendra à Lausanne afin de signer un traité de paix avec les puissances occidentales qui permettra non seulement de récupérer une partie de la Thrace perdue trois ans plus tôt, mais également de récupérer un bon morceau de l'Arménie et du Kurdistan – tant pis pour les Arméniens et les Kurdes. La Turquie expulsera la grande majorité des Grecs de son territoire en échange de la minorité turque vivant en Grèce: des villages entiers, comme celui de Kayakoy (ci-bas à droite) et de Bodrum seront vidés de leurs habitants, tout comme ceux de la ville de Smyrne – une conséquence directe du traité de Lausanne.
_
Une Turquie charcutée par deux traités – Ruines de l'ancien village grec de Kayakoy en Turquie
Le traité de Versailles consacre l'appétit impérialiste franco-britannique au Moyen-Orient. Français et Britanniques vont agir à leur guise car les États-Unis décident de ne pas intervenir. Quant aux territoires arabes passés sous les mains des Français et des Britanniques, le roi Fayçal a été forcé de reconnaître la partition de la Syrie – le Liban étant séparé du reste du pays sous prétexte de la présence d'une minorité chrétienne sous patronage de la France depuis le XIXème siècle. Cela permet de préserver également les intérêts de la dynastie hachémite qui gouvernera en Irak, tout en permettant aux Britanniques de faire de même en Jordanie. De ce malaise temporaire naîtra une autre révolte arabe qui sera réprimée en 1922. Quant au foyer national juif, la Société des Nations va donner à l'Angleterre la tâche de l'organiser et, fait à noter, le chérif Husayn et le roi Fayçal donnent leur accord à la seule condition que les Arabes palestiniens soient bien traités par leurs mandataires britanniques. En fait, le nationalisme arabe n'est pas assez fort et articulé pour s'opposer aux Occidentaux.
_
Le roi Fayçal avec Lawrence – La partition du Moyen-Orient
Vainqueurs et vaincus
Le grand vainqueur de la Première Guerre mondiale a été les États-Unis. Le banquier de l'Europe est devenu le créancier des États belligérants. Même l'Allemagne vaincue lui doit de l'argent... La Trésorerie américaine possède plus de la moitié du stock mondial d'or en lingots et en pièces monnayées. La prépondérance de l'industrie américaine très diversifiée sera définitive dès 1923 car celle-ci pourra produire n'importe quoi, n'importe quand et ce, peu importe la quantité. L'acteur émergent de jadis est devenu une puissance mondiale incontournable, sauf qu'elle ne peut plus désormais se passer de l'Europe sur le plan économique. En 1919, la créance globale européenne est estimée à $10 milliards – dont $4.4 milliards pour l'Angleterre, $2.6 milliards pour la France et près de $1 milliard pour l'Italie. Washington aura beau snobber "ces maudits Européens décadents buveurs de vin" mais l'avenir des États-Unis est associé à court terme au paiement des réparations de l'Allemagne ce qui permettraient aux Français et surtout aux Britanniques de rembourser leur dette à Washington et de se sortir de la dèche.
_
Les doughboys reviennent au pays – L'ex-kaiser demeure optimiste (1922)
L'autre vainqueur du conflit est le Japon. Cet État émergent sur le plan économique et militaire a non seulement été un partenaire fiable, mais il s'est hissé au rang de première puissance asiatique. À défaut d'obtenir des concessions majeures de la part de la Chine (elle-même alliée de l'Entente), le Japon a obtenu un mandat de jure (de plein droit) de la SDN sur les îles du Pacifique-Centre et va s'enrichir sur le plan commercial et technologique. Le délégué Chinda a été efficace durant les négociations. La dépendance japonaise à l'égard des matières premières l'oblige à regarder vers l'Asie, en particulier en Mandchourie. Les négociateurs de Paris permettent au Japon d'installer des concessions minières en Mandchourie en lui interdisant toute revendication ultérieure en Chine. Tokyo accepte mais les États-Unis protestent. La Chine, présente à Paris, ne peut faire un contrepoids efficace car ses délégués sont divisés et peu crédibles – surtout depuis que leur pays est en pleine décomposition politique depuis 1914. Wilson protège la Chine mais les diplomates japonais exigent que la "question chinoise" soit réglée avant le dossier allemand. Les négociateurs acceptent afin que le Japon ne claque pas la porte de la conférence comme l'a fait l'Italie. Wilson affirme que la Chine sera sécuritaire au sein de la SDN et tranche en faveur du Japon. La délégation chinoise exprime son dégoût et des manifestations nationalistes fortement anti-américaines se déroulent en Chine.
_
Chinda est un diplomate efficace – Protestations chinoises contre Wilson
La France, elle, aura beau pavaner dans des cérémonies comme le défilé de la victoire à Paris en 1919, s'estime satisfaite mais épuisée: elle craint déjà une renaissance nationale allemande. L'Angleterre est aussi soulagée d'avoir vaincu la Triplice mais elle se retrouve avec des responsabilités internationales élargies avec des moyens financiers très diminués. L'Italie a été "vaincue par sa victoire" payée chèrement en morts et en blessés. On parle de "victoire mutilée" car ses alliés n'ont pas respecté les promesses faites durant le conflit concernant l'attribution des provinces de l'Istrie, de la Dalmatie et du Trentin. Les fascistes italiens sauront exploiter cette trahison et y trouveront un terreau propice à l'exaltation d'un nationalisme virulent. Dans l'Allemagne vaincue en proie à la révolution et aux désordres, la classe dirigeante commence à reprendre les choses en main et le gouvernement s'installe à Weimar car Berlin est considérée trop dangereuse à cause de l'agitation révolutionnaire. Quant au Kaiser exilé en Hollande, il est certain que l'Allemagne redressera la tête malgré ses ennuis, et il confie son optimisme dans une entrevue en anglais à un reporter américain qui lui rend visite (clip ci-haut à droite).
________
En guise de conclusion
Si nous regardons en arrière, nous découvrons que la cause profonde de la guerre actuelle c'est la cruauté des conditions que l'Allemagne a imposées à la France en 1871, écrivait Winston Churchill. Ce politicien et écrivain se demandait si les nations pouvaient apprendre de leurs erreurs passées – apparemment non… La Première Guerre mondiale devait être la "Ders des Ders" (la dernière de toutes les guerres) mais il y en aura une autre encore plus meurtrière 25 ans plus tard. Ele n'a pas accouchée d'un "nouvel ordre mondial" mais d'un équilibre précaire. La réalité internationale de 1919-20 a été tellement bouleversée par le conflit que les nombreux traités signés vont échouer à instaurer un monde en paix. Si l'armistice de 1918 avait entretenu des illusions sur l'avenir immédiat, le traité de Versailles et les traités complémentaires ne susciteront que colère, cynisme et désenchantement. Le chef d'État qui va en payer le prix le premier sera le président Wilson, victime d'un AVC. Malgré le fait qu'il est à nouveau accueilli comme le sauveur de la paix mondiale, le Congrès américain refusera de ratifier le pacte de la Société des Nations. Le Sénat refuse également toute ratification. C'est ainsi que les États-Unis tournent le dos à l'Europe avec un soupir de soulagement. Quant à l'URSS, elle est la nation proscrite de l'Europe et il était hors de question que les négociateurs réunis à Paris donnent quelque crédit que ce soit à l'opinion d'un régime bolchevique dont on craint la contagion en Europe et ailleurs. En Allemagne, le délégué Erzberger et l'industriel technocrate Rathenau seront assassinés parce qu'ils étaient associés au gouvernement qui a signé l'armistice et le traité de Versailles – et qu'ils sont Juifs. Le gâchis diplomatique issu de la guerre laissera d'autres séquelles: l'isolationnisme américain, l'effritement du parlementarisme, l'impérialisme japonais, la montée des fascismes italien, allemand et espagnol, et la perte de crédibilité de la Société des Nations. Aux yeux des historiens, la Première Guerre mondiale sera la véritable marque de passage du XIXème au XXème siècle.
______________________
© Sites JPA, 2021