La guerre aérienne 1915-18
Avec la Première Guerre mondiale, l'aviation militaire allait prendre un essor fulgurant à un point tel qu'elle devint un facteur incontournable durant ce conflit. Contrairement à d'autres types d'armements, l'avion a rapidement sucité un vif intérêt chez les états-majors des pays industrialisés. Cependant, beaucoup de commandants d'unités n'étaient pas convaincus de la pertinence du nouvel outil. Mais lorsque l'avion fut utilisé comme appareil de reconnaissance, ils changèrent rapidement d'avis. Plus flexible et plus résistant que le ballon d'observation, l'avion se fit connaître comme une plateforme photographique pour la cartographie et la surveillance des mouvements de l'ennemi au sol. En 1911, l'Italie fut le premier pays à utiliser l'avion comme une arme militaire. Ils s'en servirent contre les troupes turques durant la conquête de la Lybie en 1911-2. Les appareils furent à la fois utilisés pour la reconnaissance, mais aussi pour la liaison et le bombardement: les premières grenades envoyées du ciel furent larguées par les Italiens. En 1912, l'Allemagne créa une branche militaire aérienne: un noyau organisationnel qui deviendra un service redoutable à partir de 1916. Elle comptera jusqu'à 80 escadrilles en 1918. L'aviation allemande comprenait des escadrilles d'avions et de dirigeables. Chez les Britanniques, l’aviation était une branche de l’armée de terre et de la Royal Navy. Bien que la marine garda une partie de son inventaire aérien au sein de sa Royal Naval Air Service, la plus grande partie de ses appareils s’ajoutèrent à ceux de l’armée pour former le Royal Flying Cops (RFC) en 1912. Au début de la guerre, la production d’appareils fut limitée par le grand nombre de modèles alors en service; mais en 1915, quelques modèles survérent, mais furent produits en de nombreux d’exemplaires.
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Débuts timides
Lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale, l'Allemagne avait déjà quelques centaines d'avions en service. Le plus répandu était le C1 construit par les artisans d'Aviatik. Il s'agissait d'un engin frêle mais stable. Un ensemble incertain construit de toile sur une armature de bois léger, et qui fut utilisé pour baliser la route des armées qui entrent en Belgique et en France. Il opéra également sur le front oriental. Le C1 sera – à l'exemple des Italiens – un appareil tout usage: observation, liaison, et d'attaque (ci-bas). Sujet aux bris mécaniques, le C1 demeurait vulnérable par les tirs du sol; mais il était plus agile que tous les ballons d'observation alors en service. En 1914, l'Armée de l'Air française fut organisée. Elle disposait d'une centaine d'aéronefs – ballons et avions – la plupart mal entretenus et mal logés.. Une bonne partie d'entre eux n'étaient que des versions améliorées (ci-bas) du Blériot qui avait traversé la Manche. Au début des hostilités, des avions Blériot observèrent les détails des mouvements allemands en direction de Paris, ce qui permit à l'État-major allié de concentrer des troupes aux bons endroits pour stopper les Allemands. L'avion Blériot joua un rôle capital durant la bataille de la Marne en Septembre 1914.
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Le C1 de la firme Aviatik – Le Blériot 1912
Lorsque le Corps expéditionnaire britannique (B.E.F) débarqua sur le continent, il bénéficia de l'apport de l'avion pour la reconnaissance aérienne – un rôle auquel il devint tout indiqué. Lorsque les réguliers britanniques arrêtèrent une avancée allemande à Mons, ceux-ci furent rapidement menacés d'encerclement par les forces allemandes. Ce furent les avions Avro 504 (ci-bas) qui avertirent les Britanniques de la menace qui se profilait sur eux. Les troupes britanniques se replièrent à temps et la BEF fut sauvée pour participer ultérieurement à la bataille de la Marne. L'Avro 504 servirait également comme plateforme d'entrainement pour les pilotes de chasse.
L'Avro 504, utilisé à la fois comme avion d'entrainement et de reconnaissance en 1914-16
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1915-16
La reconnaissance aérienne
Les appareils étaient des engins rachitiques, dont les ailes se détachaient souvent en piqué, et dont la vitesse maximale était de 75 mph. Construits sur des fuselages en bois de bouleau ou de merisier, ces derniers étaient enduits d'une toile étanchéifiée par une colle inflammable... La voilure était faite en toile renforcée soit par une armature de fils métalliques ou de joints métallliques.
Le rôle principal de l’aviation durant la Première Guerre mondiale fut la reconnaissance aérienne. Les progrès accomplis en photographie depuis la fin du XIXème siècle permettent une utilisation plus sure de la caméra. Celles-ci étaient fixées sur les avions et leurs objectifs, pointés vers le sol, permettaient à l’observateur/signaleur de prendre des photos des premiers réseaux de tranchées dans les Flandres, et plus tard sur la Somme et en Champagne.
La télégraphie sans fil - ou TSF - permettait de relayer des informations ponctuelles à des stations terrestres, mais elle n’était pas toujours fiable. Britanniques et Français préférèrent utiliser des fusées de signalisation aux couleurs différentes selon l’activité ennemie détectée des airs, comme en Champagne et en Artois. Les Allemands utilisèrent à cet effet beaucoup plus de ballons d'observation (ci-contre, à gauche) que les Alliés. Surnommés "saucisses" ou "testicules", les ballons d'observation allemands étaient eux-aussi équipés de postes de TSF pour relayer les données de télémétrie à leurs batteries. Faciles à déployer et peu coûteux, ils étaient cependant très vulnérables aux tirs venus du sol et des airs. Une fois l'enveloppe percée par les balles, l'hydrogène s'enflammait immédiatement. Ils furent supplantés par l'avion de reconnaissance. Pour se protéger contre les avions d'obserbations, les belligérants ont utilisé l'art du camouflage mais avec des résultats mitigés selon les années et les saisons.L’usage des renseignements photographiques permettait non seulement aux commandants d’armée d’observer les mouvements de leurs adversaires mais permettait aux artilleurs de mieux pointer leurs batteries d’artillerie. Les avions d’observation furent utilisés à cette fin à partir d’Octobre 1915. Au début de la guerre, les deux appareils de reconnaissance alliés les plus répandus étaient le Blériot et le Farman (ci-contre). Ce dernier, propulsé par une hélice qui le pousse vers l'avant – un pusher – s'avéra une plateforme stable pour les observateurs/signaleurs français. Les troupes au sol ne pouvaient manœuvrer adéquatement sans bénéficier d'avions de reconnaissance et ne pouvaient dissimuler leurs mouvements devant la présence d'aéronefs ennemis: A chaque fois que j'essaie de déplacer mes troupes, il y a ce maudit corbeau qui tourne au-dessus de moi, et à chaque fois que je me déplace avec mes hommes, l'artillerie allemande suit.., disait un officier français dès 1915.
La chasse
Les succès grandissants de l’avion dans le rôle de la reconnaissance aérienne pour photographier, cartographier, et pointer l’artillerie expliquèrent la nécessité croissante d’assurer la maîtrise du ciel. Durant l’année 1915, de nombreux équipiers d’avions de reconnaissance emportèrent avec eux des briques, des pistolets, des fusils de chasse, et même des grappins pour disputer le ciel à leurs adversaires. Des manoeuvres dangereuses visant à frôler un appareil ennemi et à lui briser une aile ou un son gouvernail par un coup de train d’atterrisage, furent tentées, souvent au prix des deux appareils impliqués. Mais en 1915, les appareils perdus le furent autant à cause de bris en vol que par le tir des armes portatives ennemies. Un des premiers as français, Rolland Garros, fut abbatu par un fusil de chasse.
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Les avions type pusher permettaient un tir aisé vers l'avant, comme ce Airco DH2 britannique
Les premiers avions de chasse – ou chasseurs – n’étaient que des modèles de reconnaissance armés et sur lesquels on avait grossièrement fixé une ou plusieurs mitrailleuses. Le modèle d’avion surtout utilisé par les Alliés était de type pusher, avec l’hélice située à l’arrière (ci-haut). Il pouvait monter une mitrailleuse à l’avant, mais ce type d’appareil n’avait pas suffisamment de maniabilité et de vitesse pour être une plateforme stable dans la poursuite d'un adversaire, et à plus fortes raisons, d'ouvrir le feu sur ce dernier.
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Oswald Boelcke – Georges Guyemer – Max Immelmann
La première escadrille de chasse britannique fut organisée en Juillet 1915. Les combats entre escadrilles succédèrent progressivement aux premiers duels entre avions. Un des premiers appareils de chasse français fut le Nieuport 11, surnommé le Bébé. Il était armé d’une seule mitrailleuse fixée au-dessus de l’aile supérieure et tirait à l’extérieur du rayon balayé par l’hélice. Mais la distance entre les yeux du pilote et la mitrailleuse était si grande qu’il était difficile d’utiliser cet avion au combat; maniable, il pouvait affronter avec succès les ballons d’observation et les avions de reconnaissance armés allemands. Des efforts furent expérimentés pour trouver un moyen d’utiliser une mitrailleuse fixée sur le capot du moteur entre les pales de l’hélice. Les Français introduisirent l’hélice blindée qui déviait presque tous les projectiles vers l’avant, mais cette approche ne fut pas retenue. Lorsque l’ingénieur hollandais Anthony Fokker mit au point un mécanisme de synchonisation pour les Allemands, le problème fut à peu près résolu. Lorsque l’avion fut choisi pour des fins militaires, les pilotes apprenaient surtout à voler et non à combattre. La seule chose qui importait dans le stress du combat était de garder le contrôle de l’appareil au-dessus de la zone ennemie et revenir à la (bonne) base. L’apprentissage du combat aérien se faisait sur le tas, avec son lôt cruel d’accidents, d’erreurs et de pertes de vies. Deux jeunes officiers allemands, Max Immelmann et Oswald Boelcke, ont condifiés les consignes du combat aérien dans un programme d’entrainement pour leurs pilotes. Ces deux officiers entreprirent de canaliser les motivations agressives et individualistes de chaque pilote vers un esprit d’équipe. Ils retinrent les principes généraux de la pensée de Clausewitz pour développer une tactique appropriée aux combats aériens:
Le combat devint une affaire d’entrainement et de méthode, autant que de persévérance. Les Allemands introduisirent un monoplan, le Fokker E-1 surnommé Eidecker, et ces derniers connurent d’excellents résultats dans les combats aériens à partir de l’automne 1915. Les avions britanniques et français tombèrent comme des mouches durant cet automne sombre que les Alliés ont surnommé the Fokker scourge – la terreur des Fokkers. La maîtrise du ciel passa aux Allemands entre l’automne 1915 et le printemps 1916. Les Allemands s'organisèrent dans des groupes de poursuite, appelés Jags staffels ou jagstas.
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Le Nieuport 12 français n'était pas de taille à rivaliser avec le Fokker E-1 allemand
Durant la bataille de la Somme à l’été 1916, peu d’appareils britanniques furent munis d’un mécanisme de synchronisation pour leurs mitrailleuses et ils eurent du mal à disputer le ciel des Flandres aux E-1 allemands. Ces derniers attaquaient surtout par l’arrière en approchant la cible par le dessous, ce qui voilait la vue au pilote ennemi et/ou à son mitrailleur. Ils devaient mesurer rapidement leur angle de tir et faire deux ou trois courtes rafales sur l’avion en espérant toucher quelque chose de vital: un câble de voilure, le moteur, ou le pilote..
En fait, la réussite d’un duel aérien repose sur trois consignes: viser, tirer, décamper.
Tactiques de combat
Toutes les manœuvres effectuées durant les duels aériens d'aujourd'hui ont été expérimentées durant la Première Guerre mondiale. Comme vous le verrez, il y a 14 manœuvres de base qu'un pilote de chasse doit essayer de maîtriser. Certaines de ces manœuvres sont défensives et visent à éviter les coups d'un adversaire. D'autres sont offensives. Un pilote de chasse peut mener une attaque en utilisant à la fois des manœuvres défensive et offensives, mais l'essentiel est qu'il doit surprendre son adversaire.
Virements rapides — Ils sont effectués souvent à pleine vitesse dans le cas de la défense pour éviter un adversaire qui vous talonne sur l'arrière. Le pilote essaie de maintenir son vieux coucou à sa vitesse maximale avant de virer sèchement soit à gauche ou à droite. Ces virements sont durs sur la structure des avions de l'époque, surtout de leurs ailes. Pour faire la manœuvre, le pilote pivote à un angle de 45 degrés en ramenant son manche à balai vers lui pour maintenir l'appareil dans un bon angle. Un coup de pédalier permet au gouvernail de direction de faire un virement sec sans perdre trop de vitesse. Pour ne pas décélérer, il ne faut pas que le pilote persiste à tourner: il fait son virement et poursuit une trajectoire rectiligne. Sinon, l'avion tourne et tourne, pour perdre de la vitesse: c'est une erreur de pilote novice surnommée "Lufbery" du nom du pilote de chasse français qui l'a expérimenté à ses dépends…
Spirale défensive — Il s'agit d'une manœuvre défensive pour secouer un adversaire qui vous talonne de l'arrière. Elle s'effectue par quelques virements prononcés suivi d'une descente en piqué à la manière d'une vis sans fin. Pour éviter d'être étourdi, le poursuivant va habituellement décrocher pour éviter de perdre le contrôle. Tant qu'au poursuivi, il doit s'efforcer de ne pas trop s'étourdir et garder le contrôle de l'appareil, sinon, c'est la vrille jusqu'au sol.
Le slip — C'est une manœuvre défensive que fait un poursuivi lorsque l'appareil ennemi est derrière lui. Le poursuivi essaie de faire glisser latéralement son appareil sans perdre de l'altitude pour s'esquiver de la menace sur son arrière. Cela lui donne un peu de temps pour faire une autre manœuvre défensive. Pour ce faire, le pilote poursuivi doit baisser légèrement l'une de ses ailes tout en appliquant une pression opposée du gouvernail de direction (si l'aile gauche baisse on envoie le gouvernail de direction à droite). C'est une manœuvre très rapide, une ou deux secondes, et doit être suivie soit d'une spirale défensive ou un virement rapide.
Le piqué — Une manœuvre offensive destinée à attaquer un adversaire volant à une altitude plus basse. Elle consiste à sacrifier l'altitude pour gagner de la vitesse et exige que le pilote soit précis dans son tir, soit une rafale de deux ou trois secondes. Pour le faire, le pilote doit pousser le manche à balai devant lui, réduire un peu la corde des gaz (throttle), ou encore se servir de ses ailerons (si l'avion en a…) pour contrôler la vitesse et éliminer la compression du moteur. Lorsque le piqué a réussi, le pilote relève énergiquement l'appareil pour reprendre de l'altitude et une trajectoire rectiligne: c'est le Zoom.
Le zoom — Une manœuvre de contrôle ou le pilote sacrifie la vitesse pour l'altitude. L'erreur que fit beaucoup de pilotes de la Première Guerre mondiale était de grimper à un angle trop vertical, ce qui amène à une perte de vitesse., et à se faire tirer par un poursuivant. Le pilote doit grimper doucement à un angle de 25 degrés jusqu'à 3300 pieds et adopter une trajectoire horizontale.
La chandelle — C'est une manœuvre combinant un Zoom avec un virage coordonné. L'idée est de sacrifier la vitesse pour de l'altitude tout en changeant la direction de l'avion. Lorsque proprement exécutée, une Chandelle, appelée souvent une "montée en flèche", gagnera la plus haute altitude possible en un minimum de temps tout en changeant de direction de 180 degrés par rapport à sa trajectoire initiale. Le gros désavantage dans cette manœuvre est que l'avion en arrive presqu'à sa vitesse de décrochage lorsque la manœuvre est complétée.
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La chandelle – Le combat aérien peut rapidement devenir une mêlée
Le Immelmann — C'est une demi-boucle combinant un Zoom avec un roulement effectué après la boucle. Les pilotes font cette manœuvre pour atteindre la meilleure altitude possible, changer de trajectoire tout en gardant le pilote poursuivi dans sa ligne de tir. Il s'agit d'une manœuvre essentiellement offensive destinée à garder l'avantage dans un duel aérien. Cette manœuvre est nommé d'après l'aviateur Max Immelmann, qui fut le premier as allemand de la Grande Guerre. La réussite de cette manœuvre exige une vitesse initiale élevée. Le pilote doit tirer le manche vers lui et procéder à un Zoom sans toutefois adopter la position horizontale. Au sommet de la boucle, il fait pivoter l'appareil pour garder son poursuivi dans sa ligne de tir.
Durant l’été 1916, les Britanniques utilisèrent d'autres modèles, entre autres, un appareil mieux construit: le Sopwith Strutter (ci-bas à gauche). Cet appareil résistant fut le premier chasseur britannique à posséder une mitrailleuse sur le capot du moteur et dotée d'un mécanisme de tir synchronisé avec l'hélice. Ce biplace manquait d'agilité contre son adversaire principal, le Fokker D1 dit Albatross (ci-bas à droite), et il sera rapidement remplacé par Sopwith Pup, agile et rapide. Néanmoins, les Britanniques eurent le dessus sur leurs adversaires allemands durant tout l'été 1916 dans une série d'attaques aériennes dirigées contre les patrouilles aériennes et les ballons d'observation allemands. En revanche, la bataille de la Somme fut un désastre pour les Alliés, même si ces derniers ont la maitrise du ciel, les combats aériens de 1916 ne furent pas autre chose qu'un sideshow.
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Les biplans Strutter et Fokker D1 peuvent tirer dans le pas de leur hélice
Au fur et à mesure que la production d'avions passe d'un état semi-artisanal à un état industriel, le nombre d'avions en service atteignait le millier d'exemplaires par belligérants. Pour les construire en ateliers et, surtout, pour les réparer sur les bases avancées en Europe, le Royal Flying Corps britannique créea un service auxiliaire féminin: le Royal Auxilliary Air Corps: soudure, raccommodage, réalésages et l'entretien mécanique devint surtout le lôt des volontaires féminins. Du côté français, l'apparition d'un nouveau biplan de chasse, le Nieuport 17, surnommé Scout (ci-bas), fut le premier appareil disposant d'un mécanisme d'interruption synchronisée pour la mitrailleuse en capot du moteur. Il mit un terme à la terreur des Fokker durant l'été 1916 au-dessus de l'Artois et de Verdun. Maniable, il eut un effet tel sur les avions allemands que le Haut-commandement ordonna qu'il soit copié. La construction était plus aérodynamique, et les feuilles de hêtre remplacèrent progressivement la toile comme matériel de revêtement du fuselage. Les commandes étaient également plus fiables. Il fut utilisé à la fois par les escadrilles françaises et britannique. Un as britannique, Fullard, abbatit une quinzainne d'avions allemands avec le Scout.
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Le Nieuport 17 français – Le Sopwith Pup
Les pilotes
Qu’ils soient français, anglais ou allemands, tous les pilotes de chasse se ressemblent : aventureux, optimistes et férocement individualistes. Nombreux sont ceux qui croient faire partie d’une élite de combattants pouvant se permettre une certain esprit chevaleresque durant les combats. Mais non seulement cet esprit ne faisait pas l’unanimité chez les pilotes, mais les belligérants ne s’affrontaient plus en duos mais en escadrilles complètes. Tout comme au sol, la guerre aérienne devint rapidement une guerre d’usure ou seul compte le résultat: soit le nombre d’appareils abbatus et le nombre de pilotes tués ou capturés. Les pilotes de chasse vont au feu selon un horaire de travail régulier. Lorsqu’ils reviennent chez eux vers 19H00, ils se retrouvent dans des baraquements confortables avec une bonne nourriture. En 1915-16, ils bénéficient de distractions, de permissions, et du prestige associé à une nouvel outil militaire. Dans les villages de France, ils avaient la réputation de playboys auprès de la gent féminine. Au combat, le degré de leur bonne humeur était conditionnée par la supériorité ou l’infériorité des appareils ennemis qu'ils rencontraient.
Une mission
Après le réveil, les pilotes ont droit à un briefing de la part du chef d’escadrille sur leurs patrouilles quotidiennes. La priorité absolue demeure la destruction de la reconnaissance aérienne ennemie: ballons et avions. Lorsqu’une escadrille décolle pour une mission, elle patrouille selon des directives pré-établies. Il n’y a aucun contrôle au sol. Il n’y a aucun moyen de communication entre les avions, sauf des signes de la main faits à la vue d’un autre avion. Pour maximaliser les chances de réussite, il fallait que le groupe attaquant surpenne son adversaire en ayant une altitude supérieure à ce dernier. Les attaquants devaient piquer sur l'arrière de leurs ennemis pour maximaliser les chances de coups au but. L'effet sur la mêlée fut immédiate: les attaqués se dispersent, et les combats se déroulent individuellement entre paires ennemies. Comme les combats n'étaient pas toujours codifiés chez les Alliés, le taux de pertes était élevé: 70% des pilotes étaient hors de combat après leur septième mission. Chez les Allemands, le taux fut plus sévère en 1916: 80% des pilotes hors de combat après leur deuxième mission. Il fallut attendre l'automne 1916 avant que les pilotes entrainés selon les principes de Boelke et Immelmann reviennent en service actif pour que la situation change sur le front de l'Ouest.
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Une patrouille aérienne se prépare – Duels aériens
Les civils visés
Durant l'automne 1915, les pertes de vies étaient surtout des militaires, et les civils qui furent tués au cours des différentes opérations ne l'ont pas été à dessein. Tout cela changea lorsque qu'une poignée de buveurs entrèrent dans un pub londonien, le Dolphin, pour s'oublier dans la broue d'une fin après-midi d'Octobre 1915. Au même moment, le zeppelin L13 commandé par le lieutenant Heinrich Matti décolla de sa base allemande pour un raid sur Londres. Le dirigeable allemand chargé de bombes prit une altitude de 24,000 pieds et arriva au-dessus de la capitale anglaise sans être détecté. Il lâcha quelques petites bombes de 50 lbs qui tombèrent au hasard sur plusieurs triplex d'un quartier résidentiel. Pendant ce temps, alors que la deuxième vague de buveurs commandait leurs bières et que la première sombrait dans l'ivresse, le zeppelin allemand lâcha une deuxième grosse grappe de bombes. La devanture et le plafond du pub s'écroulèrent, et d'un seul coup une vingtainne de clients furent tués et de nombreux autres furent blessés. Sur la plan de la symbolique militaire, le XXème siècle venait de commencer… Ce n'était qu'un tout petit raid lorsque comparé à ceux de 1918 ou de la Seconde Guerre mondiale. Mais dès lors, les civils furent tués à dessein. En fait, ce qui disparut durant cette guerre industrielle fut la distinction entre civils et militaires: à partir de 1915, tout le monde devint une cible.
La zone d'opération
Sur le front occidental, les belligérants ont été surtout actifs au-dessus des Flandres, de la Somme, et près de Verdun. Durant toute la durée de la guerre, la zone aérienne au-dessus de Lille fut le témoin d'une activité aérienne intense. Presque tous les as alliés et allemands y ont tournoyé. L'un des premiers as allemands, l'instructeur Max Immelmann sera surnommé "l'Aigle de Lille". L'autonomie moyenne des chasseurs de l'époque n'exédait pas deux heures: le temps requis pour une bonne patrouille, de bonnes photos, et peut-être la chance d'intercepter des avions ennemis eux-aussi en patrouille.
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Un Phonix austro-hongrois dans son hangar – Le baron Von Richtofen abat un SE5
Sur le front oriental, il n'y a pas de zone aérienne de combat qui soit constante: les appareils accompagnent les unités là où elles combattent. La Galicie sera le théâtre de combats aériens moins fréquents et moins nourris qu'à l'Ouest, mais tout aussi meurtriers. Sur le front italien, les avions d'observation ont opéré sans trop être dérangés par leurs adversaires, mais la situation changea en 1916. Frais de leurs expériences sur le front russe, une demi-douzaine de pilotes austro-hongrois a scoré l'essentiel des victoires sur les avions italiens. Au Moyen-Orient, l'armée turque bénéficia d'un appui aérien contre les Russes, Britanniques et Arabes. L'Allemagne fournit les avions et les pilotes, mais ils se battent sous les couleurs turques.. Pendant deux ans, la Turquie parvint à dominer son espace aérien sans être gênée du sol ou des airs
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1917-18
La production d'avions pour mener une guerre aérienne s'accrut en 1917-18. Il n'étaient plus fabriqués dans des conditions semi-artisannales, mais dans de véritables usines. Le développement des firmes aéronautiques s'accrut durant la guerre chez les principaux belligérants. La qualité du matériel produit s'améliora, car la standardisation des pièces fut généralisée. Les appareils étaient mieux construits, plus louds, plus rapides, et certains d'entre eux étaient plus longs. En plus des inévitables avions d'observation et de leurs chasseurs d'accompagnement, des bombardiers furent construits pour viser des objectifs stratrégiques. Finalement, une nouvelle variété d'appareil vit le jour: les avions d'attaque au sol. Utilisés pour le bombardement tactique, ils seront un facteur-clé de la réussite dans la percée du front continu en 1918. Cependant, les pilotes seront astreints à s'user au-dessus du champ de bataille.
La maitrise du ciel
Entre le printemps 1917 et l'été 1918, chaque belligérant avait pour objectif de produire des appareils plus solides, plus fiables, incorporant de plus en plus de la tôle métallique et même du duraluminium aux fuselages en bois. L'apparition de moteurs plus puissants accroissait les vibrations et il important que l'appareil soit de construction plus robuste. Les États-majors avaient compris que tout reconnaissance et appui aérien sérieux ne pourraient plus se faire régulièrement sans que la chasse adverse soit neutralisée. Le véritable volet de l'usure aérienne atteignit son paroxysme. Plus de 13,000 aviateurs et auxiliaires périrent.
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Les adversaires de 1917: Le Fokker D5 et le SE5 britannique
La plupart des as belligérants ont scoré leurs meilleures victoires dans cette famille d'appareils aux caractéristiques de vol assez semblables. Ils n'ont plus rien des frêles cages à poules du début de la guerre. Ce sont des appareils produits en pré-série: montés modulairement en usine, ils sont acheminés en pièces détachées par camions, par bateaux, ou par le rail aux terrains d'aviation, et montés par les mécaniciens(nes) et le personnel auxiliaire. Les pilotes purent s'entre-déchirer à souhait dans ces machines performantes, pour l'époque. Cependant, ce ne fut pas l'habileté particulière de tel ou tel pilote ou d'un avion particulier sur un autre qui joua le plus. Tout comme la guerre au sol, le facteur-clé de la réussite de la maitrise du ciel fut le nombre d'avions engagés. A partir de 1918, les Alliés eurent plus d'avions disponibles pour des patrouilles offensives, que les Allemands. Le moral des pilotes alliés fut meilleur qu'en 1916-17, tandis que celui des allemands chuta. Au printemps 1918, alors qu'il ne restait que peu de pilotes allemands expérimentés et valides, Fokker introduisit ce qui fut le meilleur chasseur de la Première Guerre mondiale: le D7, un appareil supérieur en tout points aux avions de chasse alliés. Mais peu furent utilisés pour repousser les assauts aériens français et américains au-dessus de St-Mihiel.
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Les adversaires de 1918: Le Fokker D7 et le Sopwith Camel
Bombardements stratégiques
Au début de la guerre, le gouvenement allemand n'a pas retenu le bombardement stratéqique comme une option valable. Le Kaiser Guillaume II avait quelque scrupules à utiliser ce qui lui apparaissait – avec raison – comme une arme de terreur contre des usines ou des villes. Mais à partir de l'été 1915, il céda aux pressions de son Haut commandement. Un premier raid fut fait sur Londres en Mai 1915, un second en Septembre et d'autres suivirent. Naviguant en haute altitude pour l'époque, il attaquait surtout de nuit, et les chasseurs eurent initialement de la difficulté à l'atteindre. La mort de civils- femmes et enfants, eut un impact plus psychologique que matériel sur la conduite de la guerre. Le New York Times s'écria qu'il s'agissait d'une manière scandaleuse de faire la guerre. Le London Times qualifia l'Allemagne de "Jack l'Éventreur des nations"…
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Pour contrer les raids de zeppelins, des affuts anti-aériens sont improvisés
Mais à partir de 1916, les zeppelins connurent leur fin, car l'entrée en service de nouveaux modèles de chasseurs permirent de les atteindre. Les zeppelins repérés étaient vulnérables car on pouvait les descendre avec n'importe quoi. Des affuts anti-aériens furent également utilisés avec un peu de succès. Les raids de seppelins au-dessus de l'Angleterre firent 557 tués. A partir de 1917, le zeppelin céda le pas au bombardier.
Le bombardier bimoteur allemand Gotha
Les Allemands firent des raids stratégiques diurnes au-dessus et au sud de Londres avec leurs bimoteurs Gotha. Propulsé par deux moteurs Mercédes en ligne de 260cv chacun, il avait un rayon d'action de 525 milles avec une charge de 1200 lbs de bombes. Son altitude de croisière voisinait les 21,000 pieds. L'effet fut immédiat: des usines anglaises furent atteintes – Woolwich – et le gouvernement britannique ordonna le retrait de certaines escadrilles de la ligne de front pour les poster autour de Londres. A leurs tour, les Gothas subirent les foudres de la chasse britannique et des canons anti-aériens. Pour réduire les pertes, les Allemands bombardèrent de nuit; mais leurs efforts furent sporadiques. Notons également que l'avion géant allemand Schuert 18 va détruire la base d'hydravions britanniques à Dunkerque et que les zeppelins continuent sporadiquement à bombarder Londres. Malgré sa vulnérabilité devant les chasseurs, le zeppelin a été utilisé à la fois comme outil de reconnaissance, de bombardement et de ravitaillement. L'un d'entre eux, le L-59, a ravitaillé une garnison allemande en Afrique près du lac Tanganyika: 6800 km sans escale...
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Les bombardiers bimoteurs Handley Page O/100 et O/400
Retenant les leçons des bombardements allemands, les Britanniques construisirent eux-aussi des bombardiers. En fait, le bombardement de cibles dites stratégiques fut le seul moyen allié pour tenter de briser l'impasse des tranchées. Pour faciliter la transition d'une aviation surtout centrée sur la chasse vers une aviation de bombardement, le général Trenchard fusionna tous les éléments du Royal Flying Corps et du Royal Naval Air Service et créea la Royal Air Force (R.A.F) en Mai 1918. La RAF serait essentiellement une aviation de bombardement et complètement indépendante de l'armée de terre. Grâce aux appareils construits par Frederick Handley Page, les Britanniques ont tenté des raids à demi-réussis jusqu'en Allemagne sur les usines Mauser. Bons efforts de relations publiques, car le moral allié en fut survolté. Les bimoteurs O/100 et 0/400 pouvaient porter une charge maximale de 1600 lbs de bombes, ce qui était énorme pour l'époque.
L'attaque au sol
La guerre aérienne durant la Première Guerre mondiale ne serait pas complète sans examiner le volet de l'attaque au sol. Si cette guerre a produit des mythes, un des plus coriaces fut celui de l'efficacité du rôle des combats de chasseurs. En fait, la reconnaissance fut l'apport le plus important de l'aviation dans cette guerre, suivi de près par l'attaque au sol. Ce concept vise à utiliser l'avion comme une artillerie volante, destinée à appuyer les attaques de l'infanterie en larguant bombes et roquettes sur des positions ennemies. A partir de 1916, certains chasseurs ont fait du mitraillage à basse altitude avec grand succès. Malgré l'aspect révolutionnaire de l'approche, pour l'époque, elle fut parfaitement comprise par les officiers d'artillerie et les généraux plus conservateurs. La grande innovation de l'année 1918 a été la création par l'Allemagne d'escadrilles de protection qui volent à basse altitude pour appuyer la progression de l'infanterie. Durant l'offensive Ludendorff du printemps 1918, 36 escadrilles de 6 biplaces participent à l'attaque de la Picardie. Sauf que la production industrielle de l'Entente va submerger celle de l'Allemagne et s'assurer la maîtrise du ciel. Seulement 37 avions allemands sur 483 parviennent à survoler Paris. Dès l'été, Foch disposait de 600 avions durant la contre-offensive alliée.
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Le Halberstadt CL-2 et le De Havilland DH-4
Les Allemands furent les premiers à innover en introduisant un appareil spécialement conçu pour l'attaque au sol: Le Halberstadt CL-2. Avec une autonomie de vol de 3 heures, cet appareil pouvait porter 6 bombes de 50 lbs et était armé de deux mitrailleuses. Il attaqua avec succès des positions françaises et américaines en 1918, forcant les chasseurs alliés à réoccuper le ciel pour les déloger. L'effet de terreur et de désorganisation causé par les avions d'attaque au sol furent très prometteurs d'un point de vue militaire, car la ligne de front a fluctué à de fréquentes reprises à l'été 1918. Les Alliés ont également fait de l'attaque au sol tôt durant la guerre, mais n'ont développé des appareils spécialisé qu'à partir de 1917. La Première Guerre mondiale fut celle du canon et non de l'avion. Certes, la guerre aérienne démontra le potentiel multirôle de cette nouvelle arme, mais les technologies utilisées demeuraient encore embryonnaires. Pour les États-majors militaires, la reconnaissance au-dessus du champ de bataille fut essentielle et primordiale et tout ce qui gravitait autour n'était qu'accessoire. Ce ne fut pas une affaire de chevalerie entre belligérants, mais une guerre d'usure: de matériel, de moral, et d'idées. La guerre aérienne n'a réussie qu'une seule chose: à la rendre plus hideuse, et plus coûteuse en vies humaines en éliminant l'effet de surprise.
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