La campagne des Flandres

La campagne des Flandres absorba le gros des effectifs et des soucils de l'État-major impérial britannique. Ce fut également la seconde tentative sérieuse d'opérations conjointes avec l'État-major français – c'est-à-dire Joffre. Cette campagne allait commencer dans un consensus fraichement établi. Les différents anglo-français se sont manifestés bien avant le début de la campagne. En Janvier, French avait proposé une avance côtière visant la ville portuaire d'Ostende: une action terrestre conjugée avec une opération de la Royal Navy dans le but de détruire le point de départ des sous-marins allemande. Les Français refusèrent à cause du caractère trop "anglocentré" du projet: il ne s'inscrirait pas dans la lignée d'un effort commun sur l'ensemble du front occidental, et Londres approuva les objections françaises. Joffre voulait miser sur deux opérations dites préliminaires: en Champagne, ou la 3ème Armée allemande dominait les hauteurs avec son artillerie lourde, et à St-Mihiel. Les deux opérations, qui durèrent du 16 Février au 30 Mars, échouèrent car seulement quelques kilomètres furent conquis à un prix fort: 90,000 tués et deux fois plus de blessés. Quant aux Britanniques, il n'entreprirent aucune opération hivernale depuis leurs revers à Le Cateau et Messines. Ils savaient que l'État-major français avait une mauvaise impression de leurs performances combattives et voulaient lui prouver qu'ils étaient à la hauteur, d'autant plus que des milliers de recrues volontaires arrivaient sur le continent. Lorsque French s'aperçut que les Français allèrent se concentrer sur deux petites opérations en Champagne et en Artois, il décida d'opérer indépendamment de leur priorités. Tout comme Joffre, il se disait que si le front continu ne pouvait pas être percé sur l'ensemble de sa surface, il fallait essayer massivement de le briser sur une bande étroite. L'action se déroulerait dans les Flandres et viserait à reprendre la ville de Lille aux Allemands.

____________

Sur la guerre des tranchées

Les tranchées ne sont pas une invention de la Première Guerre mondiale. Elles ont été utilisées durant la Guerre de Crimée, et expérimentées durant les conflits des Boers et de la Guerre russo-japonaise. Une guerre de tranchée est l'antithèse complète de la guerre de mouvement. Dans cet univers, le soldat était mouillé, puait et était crasseux. Il suait en été et gelait en hiver. Il y avait autour de lui des morts pas toujours bien enterrés et des rats bien nourris et sans complexes. N'empêche que la tranchée était assurément le meilleur moyen pour se protéger des balles et des éclats d'obus. Seul un coup direct pouvait la détruire. Les Britanniques avaient réoganisé leur Corps expéditionnaire en deux armées. La première toujours commandée par Douglas Haig, et la seconde par Smith-Dorrien. Les Britanniques ne s'attendaient pas, cette fois, à une progression rapide contre un adversaire en rase-campagne. Les photographies aériennes prises par ballons et biplans de reconnaissance montraient que les Allemands s'étaient eux-aussi cramponnés au terrain par un solide réseau de tranchées. Pour attaquer un tel réseau, il fallait une préparation massive d'artillerie et des centaines de milliers d'obus pour l'approvisionner. De plus, comme l'adversaire utilisait son artillerie et ses mitrailleuses à partir de positions protégées, il fallait se protéger des balles et des fragments de métal qui saturaient le No man's land. Il importait que la tranchée soit bien profonde et peu visible aux observateurs ennemis. Des cartes topo de 1/5000 furent émises pour la première fois aux officiers artilleurs. Chaque batterie comptait au moins 6 pièces chacune. Chacune d'entre elles avait leur zone à saturer au moment du bombardement préliminaire. Pour éviter que les pointeurs soient eux-même atteints, ils observaient et guidaient les pièces en regardant le No man's land dans un télémètre périscopique, afin de communiquer les réglages par téléphone. Mais lorsque les tirs ennemis produisaient trop de fumée, les pointeurs étaient incapables de diriger le feu convenablement.

_

Une tranchée typique en été – et en automne...

Une tranchée bien rembourrée était capable de stopper le tir indirect des petits canons de 75mm et même de 105mm, ce qui nécéssite des pièces d'artillerie plus puissantes étaient requises pour détruire le réseau de tranchées ennemies. Un obusier lançant un projectile lourd de 6" de diamètre ou plus était indispensable (ci-haut à gauche), car il devait porter une charge maximale de 35 livres de TNT qui explosait au contact du sol. Les tranchées allemandes – tout comme les britanniques – étaient souvent rembourrées par des murets de terre battue sur lesquels il y avait des sacs de sable. De plus ces tranchées étaient souvent précédées de réseaux de barbelés installés souvent de nuit lorsque l'ennemi était présent. En 1915, la densité des réseaux de barbelés était plutôt mince et n'exédait rarement 50 mètres. A la fin de l'année, elle excédera souvent 300 mètres à certains endroits. Venir à bout de ces barbelés sera un tracas continuel du soldat; il lui faut des pinces pour les couper. Les Allemands en ont mais pas les Français: qu'ils les coupent avec leur dents, rage le ministre de la Guerre, Millerand... Une préparation d'artillerie dotée d'obus percutants peut souffler les réseaux de barbelés - sauf que la plus grande partie des obus utilisés par les Franco-Anglais sont des fusants, et inefficaces contre les barbelés. Comme la guerre s'enlise dans l'usure des combats statiques, le système de tranchées deviendra plus complexe et plus dense, souvent échelonné en profondeur. Le tracé hachuré ou en zigzag permet aux défenseurs d'une tranchée d'effectuer des feux croisés de mitrailleuses qui ne donnent aucune possibilité aux fantassins ennemis de la flanquer (ci-bas). De surcroît, le zigzag d'une tranchée protège celle-ci du souffle d'un obus percutant car un seul tronçon rectiligne est souffé, ce qui permet aux soldats des autres tronçcons de garder leurs positions. Comme l'ont prouvé les premiers combats sur l'Aisne, Ypres et à la crête des Éparges, les défenseurs d'un réseau de tranchées se sont avérés supérieurs aux attaquants. Ce sera également le cas durant la campagne des Flandres.

__

Un obusier pour pilonner et un télémètre pour orienter son tir Un système de tranchées

Devant la qualité des réseaux de tranchées allemands, les Britanniques vont en construire de très bons dans le secteur des Flandres. En revanche, les Français et les Russes préparent leurs tranchées avec moins de soin. Ils ne s'imaginent pas qu'ils vont y rester cloîtrés durant presque trois ans. De ce fait, Russes et Français construisent du provisoire alors que les Allemands et les Brits vont accepter cette nouvelle forme de guerre statique: leurs tranchées seront construites plus solidement, et conséquemment, il faudra des obusiers plus puissants et lançant des projectiles plus lourds pour arriver à les détruire. A ces tranchées, se greffaient des abris dans lesquels les soldats entassés essayaient de se restaurer et de dormir dans un petit espace vital: ce sont les niches. La solidité de ces abris était souvent médiocre, ils prenaient l'eau, et ils pouvaient s'effondrer sur ceux qui s'y abritaient durant un pilonnage ennemi. S'il peut survivre à plusieurs coups indirects, il disparaît lorsque touché par un coup direct d'obusier (ci-bas à droite). Lorsqu'un réseau de tranchées était creusé devant une position latérale adverse, il devait être patrouillé de nuit pour éviter les infiltrations de la part de patrouilles ennemies.

_

A gauche: Abri contigu de tranchéeA droite: Abri de tranché frappé d'un coup direct

La guerre statique dans les tranchées oblige les soldats à mieux protéger leur tête et leur cou des éclats d'obus, de grenades et de gravats. Les Britanniques introduisent progressivement un casque métallique à leurs unités en première ligne. Auparavant, la plupart des soldats allaient au combat avec une coiffure de tissu n'offrant aucune protection contre les armes modernes. L'armée française a perdu beaucoup de soldats durant l'automne 1914 à cause de blessures à la tête et adopte le casque Adrian au début de l'été 1915. Son enveloppe métallique légère en a fait un casque confortable qui équipera à la fois l'armée française, l'armée belge, de même que les armées italiennes et roumaines lorsque celles-ci entreront dans l'Entente. Le casque Adrian est introduit en quantités limitées; de nombreuses unités français combatteront sans casque durant toute l'année 1915. Le War Office britannique étudia le casque Adrien mais il ne le jugait pas facile à produire par les PME du pays. Le modèle proposé par John Brodie permettait de produire un casque à partir d'une seule feuille de métal, ce qui lui permet d'être plus résistant que le modèle français. Le casque Brodie est introduit à partir de l'automne 1915 – et seulement pour les unités anglaises. Les Canadiens et les Néo-Zélandais devront attendre le printemps 1916 avant d'en être équipés. Les unités indiennes n'en seront pas équipées. Le casque Brodie sera adoptée par l'armée américaine en 1917 et sera utilisé jusqu'en 1942.

__

Le casque Adrian – Le casque Brodie – Le casque Pickelhaube

Les Allemands, eux, portaient un casque à pointe dit Pickelhaube qui date de l'époque prussienne et introduit en 1842. Il est fabriqué en cuir bouilli et durci fixé sur un contour métallique et muni d'une pointe dont la fonction est uniquement décorative. Avant 1914, le Pickelhaube était peint d'un vernis noir, avec des garnitures en métal blanc ou jaune selon les régiments. Le modèle intégralement métallique était destiné aux cavaliers et apparaît souvent sur les portraits de personnalités de haut-rang. Casque modèle 1916Ce casque figure dans les caricatures des journaux pour dénoncer le militarisme allemand. Lorsque la guerre éclate, les officiers juniors et seniors portent ce casque décoré pour être vus de leurs hommes durant les combats – il symbolise le courage de l'officier. Les Pickelhaube portés par les sous-officiers et les soldats de 1914 sont recouverts d'un couvre-casque en toile sur lequel est écrit le numéro du régiment. En 1915, ces numéros ont été enlevés pour empêcher l'ennemi d'identifier le régiment d'un soldat tué ou fait prisonnier. Le casque Pickelhaube n'offrait pas une bonne protection contre les éclats et les gravats; il sera remplacé en 1916 par un casque lourd en acier appelé stalhelm (ci-contre) fabriqué en série par l'usine Eisenhütten située à Thale qui en produira des millions d'exemplaires à partir de 1916. Le casque stalhem équipera également des unités de l'armée austro-hongroise. Mais en 1915, de nombreux soldats et officiers préfèrent porter la casquelle, le calot et même le képi, jugés plus confortables que leurs casques métalliques. Au Moyen-Orient et en Afrique, le chapeau souple et le chapeau colonial léger ont encore la cote chez les soldats.

_

Présentation de grenades britanniques – Grenades allemandes utilisées durant la guerre

Qui dit guerre de tranchées dit utilisation de grenades. Comme il est toujours risqué de se poster à fleur de parapet ou dans une meurtrière pour faire le coup de feu sans être vu et touché, les belligérants s'envoient régulièrement des politesses avec des grenades. Sauf qu'au début du conflit, les soldats de l'Entente n'avaient pas beaucoup de grenades à leur disposition, contrairement aux Allemands. Pour pallier à cette carence, les soldats français et britanniques ont fabriqué des engins artisanaux: des gamelles et boîtes de conserve (ci-bas) remplies de fulmicoton, de chlorate de potassium, de clous et de petits bouts de fil barbelés, le tout muni d'une mèche chloratée ou d'un détonateur à percussion. Le soldat devait lancer ces engins avant que ceux-ci ne leur explosent au visage. Les belligérants n'avaient pas de mortiers de tranchée et les soldats ont également été obligé d'improviser des moyens de lancer des grenades de plus en plus lourdes, non sans danger.

_

La plupart d'entre elles étaient fabriquées en fonte les éclats provoqués par l'explosion étaient mortels dans un rayon de 100 mètres, ce qui signifie que le lanceur devait être obligatoirement protégé – un muret de tranchée ou un trou d'obus est l'endroit parfait pour un lanceur de grenades. Les modèles de l'Entente étaient surtout de forme sphériques ou cylindriques et lancées à bout de bras; un modèle russe peut également être lancée avec une corde. Les Britanniques utilisent surtout la grenade Mills (clip ci-haut), qui sera utilisée durant les deux guerres mondiales. Les Allemands utilisent surtout un modèle muni d'un manche dont la première variante est distribuée au printemps 1915. Elle était muni d'un contenant en tôle renforcée avec un crochet pour la fixer à la ceinture (ci-haut). La grenade à manche pèse 3 livres et porte environ un livre d'explosif à base de nitrate d'ammonium; sa mise à feu était retardée de 7 secondes. Des modèles sphériques en fonte ont été adoptès dès 1913. La grenade allemande la plus ingénieuse est la grenade plate (ci-contre), surnommée "grenade tortue" par les soldats alliés. Elle ne pèse qu'une livre (454 grammes) et est facile à porter. De forme lenticulaire et renfermant deux petits sacs emplis d'explosif, ces engins étaient équipés d'un système d'allumage ingénieux, composé d'une étoile à 6 branches tubulaires creuses en aluminium moulé: 4 branches perpendiculaires contenaient des masselotes mobiles dotées d'une amorce. Au centre de cette croix se trouvait une étoile de percussion à 4 rugueux orientés vers les masselottes amorcées. Les deux autres tubes, en vis-à-vis, contenaient pour l'un, un détonateur, et pour l'autre, un tube de laiton masquant les pointes de l'étoile, et maintenue en place par une goupille de sécurité. L'utilisation de cette grenade s'effectuait en retirant la goupille, puis en lançant le corps à la manière d'un galet, en lui imprimant un mouvement de rotation – comme un jouet frisbee pour enfants. Sous l'action de la force centrifuge les masselotes amorcées étaient repoussées au fond de leur logement, et le tube de laiton libéré par la goupille démasquait les pointes de l'étoile centrale. En atterrissant, au moins une des masselotes était projetée contre l'étoile, mettant à feu son amorce et déclenchant l'explosion de la grenade par le détonateur.

_________

Vivre et laissez vivre

Dans les tranchées des deux camps, la nourriture est l’une des premières préoccupations du combattant, un problème quotidien et essentiel. Les cuisines sont à l’arrière. On désigne donc un soldat dans chaque compagnie pour une corvée de ravitaillement. Les hommes partent avec des bidons jusqu’aux cuisines régimentaires et reviennent les livrer en première ligne. La nourriture est souvent froide, quand elle arrive. Les combattants sont en général assez mal nourris lorsqu’ils sont dans les tranchées. La ration est de 750 grammes de pain ou 700 grammes de biscuit, 500 grammes de viande, 100 grammes de légumes secs, du sel, du poivre et du sucre. Les repas sont souvent arrosés de vin, dont chaque ration est souvent importante pour le combattant. En hiver, c’est le vin chaud, épicé. La nourriture principale du soldat reste le pain. Le soldat porte une ration de combat, composée de 300 grammes de biscuit, appelé "pain de guerre", et de 300 grammes de viande de conserve, que les Britanniques appellent le corned beef. Les soldats ont chacun un bidon de un à deux litres d’eau. Pour la purifier, ils y jettent des pastilles ou la font bouillir. Lors des combats intenses, le ravitaillement en eau des soldats de première ligne est mal assuré. La nourriture influe beaucoup sur le moral des troupes. La qualité de l’alimentation joue également sur l’état physique du soldat; les cas de dysenteries et de maladies intestinales sont fréquents. La faim, la soif et le besoin de sommeil dominaient la vie quotidienne des hommes des tranchées.

_

Des Highlanders canadiens dans une tranchée – Ça sent bon ou mauvais?

Le réseau de tranchées permet aux soldats de mieux se protéger des balles que s'ils évoluaient en terrain découvert. Les soldats dormaient dans des casemates, souvent protégés sous d’importantes masses de terre. Elles sont parfois décorées, mais l’atmosphère y est souvent humide et insalubre. Dans certains endroit plus calmes, les soldats peuvent prendre le temps d’organiser leurs tranchées. Dans ces abris où ils passent la majeur partie de leur temps, ils entretiennent et décorent, pour les rendre plus chaleureux. Ils ont des photos, des souvenirs, et même des décorations d’intérieur. Certaines tranchées sont construites comme des maisons, avec des fondations, des poutres, des portes, voire des escaliers en bois pour se rendre dans les abris ou dans les observatoires. Nous savons que celles aménagées par les Allemands et les Britanniques dans les Flandres ont l'avantage d'être relativement bien drainées; leurs murets sont épais et offrent un haut degré de protection. Dans les zones de combat, les hommes n’ont pas le temps d’organiser leur tranchée – ce sera le cas des positions françaises avant et durant la bataille de Verdun. Inutile de dire qu'il est difficile de se reposer dans les abris de tranchées. Les soldats préféraient dormir par terre dans la nature, plutôt que sur les matelas des casernes qui exhalaient un relent de vielles urines ou d’excréments échauffés ou bien, que dans la poussière âcre des paillasses ou des planchers. Dormir même en compagnie des rats devenait un immense plaisir. Ils avaient peur, beaucoup parlaient ou criaient durant leur sommeil. Les rats venaient manger la nourriture, et les poux et les parasites étaient un véritable fléau. Les mouches attaquaient le jour et les moustiques la nuit. Partout la vermine s’attaquait à la mort. Il s’ensuit un état indescriptible de tension nerveuse. Et il y a, bien sûr, toujours la hantise de subir une attaque au gaz (ci-haut).

_

Un tireur d'élite allemand en 1915 – Essayons de tout faire pour survivre

Entre le printemps 1915 et le début de l'été 1916, les combats entre réseaux de tranchées adverses sur le front occidental n'étaient ni continus ni brutaux. Il y aura de longues périodes d'accalmie où les deux camps attendent des ordres clairs ou des munitions (souvent les deux), si bien que la monotonie et la mélancolie s'installent entre des belligérants souvent positionnés à quelques dizaines de mètres de distance. La présence du tireur d'élite parfois muni d'un viseur télescopique garde les soldats sous une tension: un casque visible au-dessus du parapet se fait souvent trouer. En 1915, la firme allemande DWM a mis au point un projectile alourdi semi-blindé capable de percer plus d'un mètre de terre battue, et cette munition a souvent été utilisée par leurs tireurs embusqués. Français et Britanniques utiliseront également des tireurs embusqués pour viser les officiers ennemis et perpétuer à peu de frais un climat d'insécurité. Les soldats belligérants disposent également de balles incendiaires contre les ballons d'observation. Parfois, des grenades sont lancées, de même que quelques obus de mortier. Du côté français, un petit mortier appelé Crapouillot (ci-contre) remplace peu à peu les lance-grenades improvisés plutôt dangereux d'utilisation. Du côté allemand, apparaît le Minenwerfer qui permet lui-aussi d'effectuer du tir plongeant dans les tranchées ennemies – sauf que les munitions et l'esprit combattif font souvent défaut. La consigne implicite du vivre et laissez vivre est appliquée: si les gens de la tranchée d'en face ne nous tirent pas dessus, alors pourquoi les embêter avec des tirs? Attendons tout simplement les ordres, se disent les belligérants. Heureusement pour eux que les ordres n'arrivent pas souvent... Fait à noter, des soldats attirés par l'odeur de la cuisine du camp d'en face étaient – parfois – invités à échanger des denrées et du courrier. C'est ainsi que les soldats sympathisent à leur condition de part et d'autre des tranchées, sans toutefois assister à de véritables épisodes de fraternisations en groupe comme durant Noel 1914. Un exemple parmi tants d'autres: Aviser le camp ennemi de l'imminence d'un pilonnage. Nous avons reçu l'ordre de tirer quelques coups de 210mm sur vos lignes mais nous ne frapperons pas directement vos positions, dit un officier allemand à un commandant français. Nous n'avions pas l'intention d'agir ainsi mais notre commandement régional nous l'impose. Ainsi, le souci de se ménager entre ennemis est bien réel de la part de soldats qui partagent les mêmes conditions de vie difficiles, sauf lorsqu'il s'agit de régiments d'élite agressifs prompts èa se battre et peu soucieux de la vie humaine ou dans le cadre d'une opération dite majeure.

_________

Neuve Chapelle

Ce fut la première opération offensive britannique lancée à partir d'un réseau de tranchées protégé par de l'artillerie, et la dernière qui obtint la surprise tactique par le caractère discret de ses préparatifs. Elle s'inscrit dans le cadre d'une attaque alliée dans la région de l'Artois. Ce sera le premier effort ayant pour but de briser le front continu. Cependant, l'attaque tarde à être lancée à cause d'un manque de renforts immédiatement disponibles, suite à la décision alliée d'intervenir dans les Dardanelles. En conséquence, la zone de combat se réduit sur le seul village de Neuve Chapelle, située au nord de La Bassée et à l'ouest de Lille (carte ci-bas à gauche). Il s'agit de neutraliser un saillant allemand près de ce village. Le travail est confié à la BEF du général French. Ce dernier presse son subordonnée, Haig, d'attaquer le saillant ennemi avec ses 6 divisions de 22,000 hommes chacune, dont plusieurs unités indiennes. En face de lui, un corps d'armée allemand composé seulement de deux divisions – ce qui signifie que les Britanniques ont une supériorité numérique. Pour French, il lui restera à savoir si ses attaquants pourront venir à bout des défenseurs ennemis après le tir de barrage.

__

La zone de combat Qu'est-ce qu'on attend? Le général Haig

Le 10 Mars 1915, un bombardement d'obusiers de 6" pilonnent un réseau de tranchées allemande sur la crête d'Aubers durant une demi-heure. Il aligne 342 obusiers dont le tir est dirigé par plusieurs dizaines d'avions de reconnaissance. L'historien britannique Martin Gilbert affirme que cette artillerie a balancé plus d'obus en 35 minutes que la quantité totale utilisée durant la Guerre des Boers. Cette cannonade chauffe le sang des Britanniques qui ont hâte de monter en ligne (ci-hautau centre). Ces derniers croient qu'ils vont s'emparer de la crête trufflée de trous d'obus et y faire passer leur cavalerie pour ouvrir la route de Lille. Mais, dès le début de la cannonade britannique, les défenseurs allemands se replient hors de portée des obusiers ennemis puis revinrent à la faveur des fumées et poussières qui obscursissent le champ de bataille. Lorsque l'infanterie britannique attaque, les Allemands sortent de leurs trous. les Allemands n'avaient qu'à tirer sur le terrain tout juste conquis par les premières vagues d'assaut pour faire avorter toute l'attaque de Haig. Il y a de nombreux corps-à-corps à la bailonnette. Les Britanniques prennent Neuve Chapelle après 4 heures de combat. Aussitôt, Haig est confronté à des problèmes logistiques: les communications sont mauvaises; le ravitaillement a du mal à arriver en première ligne et, surtout, ses artilleurs apprennent qu'ils vont manquer d'obus de 6". Son supérieur, French, n'avait pas anticipé de constituer des stocks importants d'obus avant d'ordonner son attaque. Néanmoins, la durée du pilonnage initiale a enlevé à Haig l'élément de surprise tactique, ce qui a donné le temps aux Allemands d'acheminer des réserves à proximité du saillant attaqué. En fait, le pilonnage initial a permis aux Britanniques de percer la première ligne de défense ennemie, mais les artilleurs n'ont pas assez d'obus pour venir à bout de la seconde ligne défensive: l'attaque de Haig est stoppée.

__

Corps-à-corps entre Britanniques et Allemands – La contre-attaque de Rupprecht

Le 12 Mars, le prince Rupprecht lance une contre-attaque qui déloge les Britanniques de Neuve Chapelle. Ces derniers ne parviennent qu'à conserver une petite zone de 2 km de profondeur, qu'ils occupaient depuis Octobre 1914. Les Allemands attaquent à partir de la crête d'Aubers. Deux bataillons britanniques sont lancés, bailonnette au canon, contre ladite crête, et cela malgré les tirs et les fils barbelés: ils sont exterminés jusqu'au dernier homme. La bataille allait se solder par un échec pour les Britanniques. En face d'une opposition déterminée à reprendre le terrain perdu, il est impossible pour les attaquants de faire une progression uniforme. Les fantassins se retrouvent souvent pris à giguer dans les barbelés pour le plus grand plaisir des mitrailleurs ennemis (ci-bas).

_

Cette chair à canon britannique sera mitraillée Le prince Rupprech de Bavière

A une échelle très restreinte, les réguliers britanniques avaient eu leur premier apprentissage de ce que serait une guerre de tranchées: 11,200 d'entre eux sont tués, dont 4200 Indiens. Il ont fait 1200 prisonniers. Les pertes allemands font état de 9100 tués et d'un grand nombre de blessés. Le caractère rapide et improvisé de l'attaque britannique, de même que les carences en munitions d'artillerie, amènent le rappel de French ainsi que le chute du gouvernement Asquith. Sur le plan militaire, la ligne du front occidental n'a varié que de quelques kilomètres. Les belligérants, eux, retournent dans leurs réseaux de tranchée.

___________

Le second Ypres

Retenant à peine la conclusion de l'expérience britannique, l'État-major français va tricoter un plan presque identique à la bataille de Neuve-Chapelle, sauf qu'il demande aux Britanniques de jeter plus de monde dans celui-ci. L'enjeu est de dégager les routes de Flandres de la présence allemande entre Armentières, Ypres et Menin. Il n'y avait eu que peu d'activité militaire: seulement une tentative allemande pour prendre un point élevé, la Côte 60. Les effectifs britanniques comprenaient des Canadiens. Personne ne s'attendait à une attaque. C'est à cet endroit que les Allemands utilisèrent des gaz de combat. Les Allemands les avaient déjà testés contre les Russes en Janvier. Les produits utilisés n'étaient que du gaz lacrymogène peu efficace par temps froids. Lors que la seconde bataille d'Ypres débuta le 22 Avril 1915, les Allemands déversèrent 168 tonnes de chlore à partir de 528 cylindres près du village de Langemarck. Derrière ces nuages de chlore, l'attaque allemande se porta entre le village de Langemarck et le canal de l'Yser. Le repli des Français, repoussés le long du canal, avait ouvert une brèche de 8km entre eux et la 1ère Division canadienne. Britanniques et Français furent surpris et plusieurs périrent car ils n'étaient pas suffisamment protégés. Chez les éléments algériens des forces françaises, ce fut la panique et de nombreuses unités abandonnèrent leurs positions.

_

Infanterie allemande derrière un rideau de gaz Soldats britanniques incommodés par les gaz

De surcroit, les premiers masques à gaz laissaient carrément à désirer en terme de protection sécuritaire. Ils filtraient à peine les produits lacrymogènes, et furent totalement innefficaces contre des produits plus puissants comme le phosgène et le disphogène (ci-bas). Les effets des gaz chlorydriques n'eurent pas l'effet psychologique escompté par les Allemands. Bien qu'il y ait eu initialement beaucoup de victimes et d'aveugles, les gaz de combat accrurent la colère à l'égard des Allemands. Ils contribuèrent à les diaboliser aux yeux des responsables de propagande. L'utilisation des gaz de combat sucita également de la colère chez le ministre Kitchener. Mais pour le soldat dans sa tranchée, les gaz de combat s'ajoutent à la panoplie d'armes qui menacent son existence quotidienne. Il deveint un fataliste qui adopte l'attitude de la survie quotidienne. A partir du printemps 1916, de meilleurs masques à gaz furent distribués et l'attaque au gaz fut relégué au rang d'incidents déplaisants, surtout lorsque aucune protection n'est disponible à temps.

__

Les masques à gaz français laissent à désirer – ...et ceux des Britanniques aussi

Mais trois autres facteurs réduisent l'efficacité des attaques au gaz sur un front continu:

• Le tracé irrégulier de la ligne de front qui complique les tirs et déversements.

• La direction des vents dominants, qui favorisent qu'un seul des belligérants.

• Les délais dans l'organisation de ces attaques qui les font reporter ou canceller.

_ _

La contre-attaque nocturne britannique a été repoussée – Éraflée en Octobre 1914, Ypres eut moins de chance en 1915

Malgré le succès initial de l'attaque, les Allemands ne savent pas comment exploiter leur percée. Ils étaient à un mille de Ypres et aucun obstacle devant eux, mais ils ne disposent pas de réserves d'infanterie pour terminer l'attaque et scinder les troupes alliées. Ces délais permettent aux Britanniques de reprendre la situation en mains entre le 23 et 28 Avril avec un faible rideau de fantassins – canadiens – appuyés que par quelques batteries d'artillerie. Les Allemands essayèrent de compenser leur faiblesse en fantassins par un volume d'artillerie lourde qui domina complètement les efforts des Alliés. La ville d'Ypres devint méconnaissable. Ayant souffert des gaz, les soldats alliés furent pris dans un déluge de feu mais n'eurent pas l'autorisation de se replier. Un changement de patron dans la 2ème Armée permit aux Britanniques de tenir une ligne de défense plus avancée mais plus exposée aux tirs. Un nouveau réseau de tranchées britanniques se creusa et se consolida entre le 2 et 15 Mai. Le secteur de Ypres devint un saillant autour duquel s'établit une guerre de positions, un siège. Ce saillant resta à peu près inchangé jusqu'au moment où il sera définitivement par l'armée de Gough en Juillet 1917. Durant deux ans, Alliés et Allemands effectueront plusieurs attaques frontales à l'artillerie, au gaz et avec l'infanterie, mais sans obtenir de succès. Là comme ailleurs sur le front occidental, la guerre d'usure ne produira que des morts et blessés en très grand nombre. Ces gaz de combat étaient mortels surtout si le nuage était suffisamment concentré pour pénétrer dans les réseaux de tranchées. Durant deux ans, aucun belligérant ne pouvait nier son efficacité tactique. Il pouvait être déversé par cylindres ou par des obus dans un tir de saturation d'un objectif.

___________________________

© Sites JPA, 2021