Les Dardanelles

La campagne des Dardanelles a été élaborée à cause d'une requête officielle de la Russie pour obtenir une aide alimentaire et militaire qui lui permettrait de maintenir une capacité opérationnelle à l'Est contre les Empires centraux. Pour faciliter la réceptivité de la France et de l'Angleterre, l'État-major russe leur avait promis de lancer une grande opération de diversion dans le Caucase dès le 2 Janvier 1915. La Russie ne pouvait être ravitaillée par le nord durant les longs hivers artiques, et le moral de son armée était corrodé par une succession de revers militaires. Une aide alliée était non seulement indispensable au niveau matériel mais également au niveau psychologique. A Londres, le nouveau ministre de la marine, Winston Churchill, voulait revoir la stratégie impériale pour intervenir sur d'autres fronts. Les gouvernements français et britanniques étaient réceptifs à une initiative, mais pas leurs États-majors pour qui la décision militaire devait être gagnée en Europe. Ni Joffre ou French ne voulaient dégager des troupes du théâtre d'opération occidental pour réaliser une telle initiative. Les Alliés choisirent d'aider la Russie en forcant les détroits du Dardanelles et du Bosphore, contrôlés par la Turquie. Dans un premier temps, ils décident d'essayer uniquement par une opération navale de grande envergure. Le premier Lord de l'Amirauté, Winston Churchill, appuie un projet audacieux qui donne la part belle à la marine. Elle devait neutraliser les défenses turques situées de chaque côté du bras de mer afin de permettre aux fusiliers-marins français et britanniques de débarquer à quatre endroits: Koum Kale et Tchanak au Sud, et Sedhl Bahr, Kilid Bahr et Maidos au Nord. Un petit contingent d'occupation serait ultérieurement débarqué pour sécuriser ces quatres objectifs. Ainsi, lorsque l'accès aux détroits sera sécurisé, les Français et les Britanniques croient qu'ils pourront ainsi ravitailler leur allié russe sans être embêté par cet "homme malade de l'Europe" qu'est la Turquie. L'Entente va mésestimer l'arrivée de la Turquie ottomane dans le camp de la Triplice et l'aide militaire allemande apportée à ce pays. Elle va également sous-estimer la capacité de la résistance turque.

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Forcer les détroits

L'arrivée de la Turquie comme nouvel allié de la Triplice ne date pas de 1915. D'abord, ce pays était entré dans la sphère d'influence germano-autrichienne dès que l'Angleterre a cessé d'être son endosseur économique vers 1908. Les investissements allemands vont rapidement remplacer ceux des Britanniques. Ensuite, sa défaite dans les Balkans en 1912-13 l'a animé d'une volonté de revanche qui était au-dessus de ses moyens, faute d'un allié protecteur et endosseur. L'Allemagne s'investit dans les secteurs-clé de l'économie ottomane (chemins de fer et ports) et dans la réforme de l'armée ottomane (voir dossier Un djihad?). Les Allemands founissent l'aide logistique pour miner les détroits suite à l'affaire libyienne de 1912. En 1914, la Turquie ottomane donne la permission à deux croiseurs allemands – le Goben et le Breslau – de se réfuglier en Turquie alors qu'ils étaient poursuivis par la Royal Navy. Lorsque le gouvernement ottoman déclare à guerre à l'Entente, ces deux croiseurs accompagnent des navires turcs pour aller pilonner Odessa et Sébastopol. Forcer les détroits ne sera pas chose facile, car certaines forteresses ont été réaménagées et armées par les ingénieurs allemands et disposent de canons de marine pouvant s'opposer au passage de navires indésirables. Qui plus est, le renseignement allié faisait peu de cas de mines mouillées par les Turcs dans le détroit. Et il y a, invariablement, un excès de confiance relié à la possession de moyens militaires impressionnants: lorsqu'une attaque navale est composée de plusieurs dizainnes de navires de lignes eux-mêmes bardés de canons, ses responsables ont une tendance naturelle à privilégier la force brute, et à privilégier aucun changement dans leurs tactiques.

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Mines turques de fabrication allemande Un fortin turc mal en point sous le feu ennemi

Cette force navale était commandée initialement par l'amiral Carden, un britannique, mais ce dernier tomba malade et fut remplacé par l'amiral français De Robeck. Elle comprenait 22 navires lourds, soit des cuirassés et des grands croiseurs, ainsi que 18 petites unités. La tactique utilisée fut d'envoyer deux groupes de 8 cuirassés chacun bombarder les forts turcs en se postant latéralement devant ceux-ci. Lorsqu'un de ces groupes aurait épuisé leurs munitions, il serait relevé par un second groupe, et cela jusqu'à la nuit ou jusqu'au moment où les forts seraient neutralisés. Ces cuirassés seraient précédés de dragueurs de mines pour dégager les voies d'entrée du détroit des Dardanelles contre toutes mines flottantes.

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Le cuirassé Majestic ouvre le feu contre un fortin turc Cuirassés français pilonnant d'autres fortins

De Robeck confia l'assaut à l'amiral Guépratte qui ne se fit pas prier pour aller tout de go à l'assaut. Il commandait quatre bâtiments britanniques et quatre bâtiments français. Le 18 Mars, les dragueurs de mines – en nombre insuffisants – dégagèrent l'entrée des Dardanelles de nombreuses mines côtières. Ce déminage fut effectué sur 60 km. S'il avait été efficace, la campagne aurait pu réussir. Mais le danger des mines ne fut pas éliminé. Surévaluant le travail accompli, De Robeck ordonne à Guépratte de forcer les détroits selon le plan préalablement cité. Les forts turcs sont bombardés et de nombreux ouvrages anciens sont troués par les cuirassés alliés. Cependant, les canons modernes allemands endommagent quatre des huit cuirassés, causant de nombreux morts et blessés; mais, les obus de marine allemands n'avaient pas la vélocité/distance requise pour percer le blindage des cuirassés et ils ricochèrent dans un grand fracas. Les cuirassés pilonnent les ouvrages turcs à très petite vitesse. Quelque fois, ils s'arrêtent même pour mieux ajuster leurs tirs. Les Turcs, dans leurs vieux fortins en maconnerie, ont été les plus touchés (gravure ci-haut). De surcroit, leurs pièces côtières étaient vétustes et causèrent beaucoup d'accidents mortels. Les fusiliers-marins français débarquent et après quelques combats à la carabine et à la grenade, en dynamitent sept avant de ré-embarquer.

Le dispositif naval allié dans les détroits

Devant les résultats acceptables, Guépratte fait replier ses navires pour qu'il soient relevés par un autre groupe de navires britanniques. Ce qu'il ignorait, c'est qu'il y avait d'autres mines flottantes disposées à quelques centaines de mètres des côtes. Son navire, le Suffren, fit une boucle pour sortir du détroit. Le Bouvet fit la même manœuvre 600 mètres sur l'arrière du Suffren, et c'est pendant son évolution qu'il toucha une mine et coula avec presque tout son équipage, capitaine compris… La deuxième relève de cuirassés avait été plus malchanceuse: 4 cuirassés coulés, dont trois par des mines. Seul le cuirassé Ocean a été coulé par les batteries côtières. En soirée, les navires alliés voulurent tenter de se repositionner, mais ils virent les mouilleurs de mines turcs à l'œuvre, et furent visés par les canons côtiers. Appréhendant d'autres pertes par les mines, De Robeck leur ordonna de rebrousser chemin. L'affaire des Dardannelles ne serait pas réglée par la marine.Les gouvernements français et britannique ordonnent aux amiraux alliés de contre-attaquer dans les plus brefs délais: C'est du suicide, répondent ces derniers. Avec cette défaite navale, l'espoir de venir en aide aux Russes prendra plus de temps que prévu.

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Casemate britannique – Le Bouvet va couler

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Une opération terrestre

Damn bad luck, s'écrient les marins britanniques suite à cet échec naval lamentable. À Londres, plusieurs députés foncent déjà les sourcils en blâmant Churchill. Faute d'avoir réussi à neutraliser rapidement et économiquement les forts turcs par des moyens navals, lord Kitchener prit l'affaire en mains, et dut se résoudre à l'emploi de troupes terrestres pour tour à tour occuper les points fortifiés ennemis et obliger la Turquie à "céder le passage" aux navires alliés vers la Russie. Mais l'armée turque réorganisée sous le modèle allemand, avait anticipé une opération amphibie et avait progressivement disposé des forces pour la contenir. Le relief de la péninsule de Gallipoli se prêtait bien à la défense; ses falaises escarpées qui, parfois, tombaient directement dans la mer, pouvaient être trufflée de petites galeries munies d'armes à tir plongeant pour frapper des embarcations de débarquement. Comme aucun des deux alliés ne voulaient utiliser leurs divisions déjà présentes pour les expédier ailleurs, ce problème fut tranché dans une réunion à Paris par leurs deux ministres de la guerre. Lord Kitchener et Millerand optère d'utiliser des troupes coloniales pour constituer le gros de leurs forces terrestres. Un petit nombre de réguliers britanniques seraient également présent à tous les échelons de commandement. Pour les Britanniques, elles étaient constituées des troupes venant de l'Inde, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Ces forces devaient recevoir le gros de leur entrainement en banlieue d'Alexandrie en Égypte. Pour la France, elles provenaient exclusivement d'Afrique du Nord et Centrale. Le commandement de l'expédition est confié au général Ian Hamilton. Ce dernier dispose de 6 divisions, soit 100,000 hommes: 20,000 Français et 60,000 Britanniques.

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Australiens en Égypte — L'objectif: aider la Russie isolée

Les plans des belligérants

Les Turcs espéraient retarder leurs ennemis en leur infligeants des revers initiaux jusqu'à l'arrivée des renforts aux points jugés les plus chauds. Deux divisions turques couvraient la rive Asie, deux autres à la pointe sur de la rive Europe, de la baie de Souvla jusqu'à la ville de Maidos, que les Alliés voulaient occuper. Le plan turc était bon parce qu'il permettait de déterminer où envoyer des réserves lors d'une attaque ennemie. Les Turcs espéraient identifier le point vital d'un débarquement allié et acheminer leurs réserve pour le faire avorter. Ils avaient conclu que toute tentative de débarquement devait être contenue sur le littoral. Le plan allié, en gros, consiste à la fois à débarquer des forces en de multiples endroits sur la péninsule et à être appuyé par la marine non seulement durant les débarquements eux-mêmes, mais durant toute la durée de la campagne terrestre afin de limiter les pertes humaines. Les effectifs britanniques et Anzacs feraient le gros de la besogne sur la rive Europe: les Brits devant Sedhl Bahr, et les Anzacs sur Gaba Tepe; tandis que les soldats et fusiliers marins français feraient une opération massive de diversion sur la rive Asie. Pour les Alliés, l'entrée des détroits devait être garantie par l'occupation des deux rives par leurs troupes: foncer directement vers Maidos et Constantinople aurait été de la folie. L'objectif stratégique était de couper la péninsule de Gallipoli en deux afin de permettre aux forces débarquées de vaincre la défense turque.

Les Dardanelles: Une attaque risquée

Les débarquements

Les forces britanniques débarquèrent à l'extrémité de la pointe sud de la péninsule de Gallipoli le 25 Avril sur quatre segments de plages. Les petites plages n'avaient que peu de défenseurs et 8000 hommes furent débarqués en moins de trois heures, mais les défenseurs furent suffisamment tenaces pour éviter la progression alliée pendant plusieurs jours. Cependant, leur présence n'a pas dégagé aucune troupe turque à Sedhl Bahr. Les forces françaises débarquèrent sur la rive Asie à Koum Kale et ne rencontrèrent qu'une faible résistance. Les forces du général d'Amade purent même progresser le long de la plage sud du détroit pendant plusieurs dizainnes de kilomètres sans être gênées.

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Premiers débarquements La baie de Souvla

Devant Sedhl Bahr, la résistance turque était forte: la plage n'avait que 300 mètres et arrivait à pic devant des falaises au-dessus desquelles mortiers et canons turcs s'en donnèrent à cœur joie: des régiments entiers furent fauchés, souvent même dans leurs chaloupes, et bien que l'objectif put être conquis, vagues d'assaut couraient sur deux épaisseurs de corps de leurs camarades tués. Sur 9000 hommes débarqués, 3000 sont tués en deux heures de combat. Mais autour des hauteurs de Sedhl Bahr - comme à la Côte 10 les Britanniques sont cloués au sol par les tirs turcs et doivent creuser des tranchées souvent trempées d'eau de mer des marées montantes. Les troupes Anzacs destinées pour Gaba Tepe débarquèrent au mauvais endroit plus à l'Est à cause du brouillard, dans une crique qui sera ultérieurement surnommée Anzac Cove (ci-bas). Elles allèrent affronter le feu ennemi pour la première fois. Arrivant en embarcations ouvertes, les Anzacs subirent le feu des Turcs échelonnés sur trois crêtes successives. Leurs pertes furent terribles. Pas un mètre carré de l'aire de débarquement n'était à l'abri du feu des Turcs. Le manque d'hydravions d'observation combiné à de mauvaises cartes rendirent tout déploiement hasardeux.

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Anzac Cove Vous n'avez que dix minutes à vivre...

De nombreuses unités alliées se consolidèrent sur les plages au lieu de gagner les crêtes. Leurs hésitations ne servirent qu'à améliorer la défense turque dans la péninsule. Les soldats alliés étaient trop chargés. Chaque homme portait un havresac ce 80 livres dans un soleil de plomb. Les commandants de régiments étaient de farouches individualistes qui n'ont pas su harmoniser leurs plans tactiques sous le feu ennemi; pour plusieurs d'entre eux, c'était leur premier combat. Du côté naval, les cuirassés alliés hésitaient souvent à faire un feu de couverture car ils craignaient à la fois de sauter sur les mines flottantes ou d'atteindre leurs propres troupes. L'absence de communications instantannées fut un élément majeur autant dans l'orientation des tirs dans la gestion de la bataille.

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Les Alliés seront congestionnés au pied des rochers et terrés dans des trous

Le cuirassé français Suffren tira de nombreuses salves malgré les dangers, mais son effort ne fut ni dirigé ni soutenu. Qui plus est, le général Hamilton commandait ou essayait de commander les opérations depuis les navires qui croisaient au large; beaucoup d'officiers alliés notamment français lui reprochaient son "caractère distant" avec les unités débarquées. Une originalité de la campagne des Dardanelles fut la haute compétence navale alliée en matière de logistique. Comme la péninsule de Gallipoli ne disposait pas d'installations portuaires relativement abritées du feu ennemi, les Alliés coulèrent un vieux cargo, le River Clyde, autour duquel d'autres vieux rafiots furent coulés pour créer un port artificiel, car sans cette installation, aucun ravitaillement continu ne pouvait approvisionner les soldats débarqués. Le matériel était débarqué sur cette jetée et porté aux tranchées.

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Le torpillage du Triumph Le submersible allemand victorieux

Les Alliés purent bénéficier d'un ravitaillement soutenu jusqu'à la mi-Août. Le torpillage de deux cargos alliés par des sous-marins allemands réduisirent le flot quotidien de vivres et de ravitaillement pour les soldats alliés. L'appui-feu naval tant attendu des troupes au sol se fait d'autant plus attendre qu'un submersible allemand torpille le cuirassé Triumph, ancré à quelques centaines de mètres de la côte. A partir de ce moment, le manque de ravitaillement, combiné aux pertes, fera chuter le moral des Britanniques.

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Le cuirassé Sufren Le cargo River Clyde

La topographie du terrain ne permettait pas aux Alliés de consolider leurs gains locaux. Les Turcs postés en défensive sur les crêtes bloquent la plupart des avancées avec leurs mortiers et canons légers. Les opérations vont s'enliser dans une guerre d'usure dans des tranchées comme en Champagne ou en Artois. Les pertes alliées vont s'accroitre, et les Australiens, venus combattre pour le sport et l'aventure, vont connaître la faim, la soif, les tirs, et surtout les mouches domestiques. Cet univers de tranchées, avec ses morts pas toujours enterrés, sera le lot des soldats débarqués durant plus de 2 mois. Et lorsque les Turcs verront que les Alliés ne veulent plus aventurer leurs cuirassés dans le détroit, ils vont démonter leurs pièces lourdes et les réacheminer sur d'autres positions pour faire porter leurs obus à l'intérieur des périmètres occupés par les Alliés.

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L'artillerie turque pilonne les tranchées alliées

L'utilisation des réserves

En Juin, une poussée australienne audacieuse avait été stoppée par l'action prompte des Turcs en état d'infériorité numérique. Lorsque le lieutenant-colonel Mustapha Kemal a bloqué et repoussé les Australiens dans des combats à la baillonnette et à la grenade, son supérieur, le général allemand Von Sanders, lui envoie deux divisions de réserve et l'attaque australienne échoua. Durant l'été 1915, presqu'à chaque fois que des défenses turques encaissent les coups de main alliés, elles sont renforcées par des réserves acheminées à temps. Dans une guerre d'usure, le camp qui "dure" est celui qui utilise le plus judicieusement ses réserves au bon endroit et au bon moment.

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Les tirs contraignent les soldats australiens à s'abriter

Les Britanniques, privés de bons moyens de communication instantannés, ne sont pas en mesure de les acheminer à temps. De plus, Hamilton ordonna à ses subordonnés Hunter-Weston et d'Amade de s'en tenir à l'exécution rigide du plan de débarquement au nom de la prérogative hiérarchique. Comme il était impossible de modifier le plan en cours d'exécution, les généraux subordonnés furent encore plus restreints dans leurs liberté de mouvement et dans leurs options..

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Kemal observe les Alliés cloués sur les plages Sur les petits ennuis aux Dardanelles

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Briser l'impasse

La puissance et la précision de l'armement moderne par des défenseurs tenaces inférieurs en nombre contre des réseaux de tranchées ayant le dos à la mer avait prouvé sa pertinence dans la guerre d'usure en France. A chaque fois que des chaloupes débarquaient sur les plages avec hommes et vivres, elles étaient prises dans la mire des canons et mitrailleuses turques. Presque partout sur la péninsule, les soldats alliés s'accrochent sous des tirs dès qu'ils sont visibles dans leurs tranchées. Hamilton ne vit qu'un seul atout pour briser l'impasse: opérer un débarquement dans la baie de Souvla. Hamilton était convaincu que les Turcs relâcheraient leur pression au sud de la péninsule pour faire face à cette nouvelle menace qui pourrait couper la péninsule en deux et les isoler.

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Les Alliés cloués sur les plage L'artillerie britannique pilonne les crêtes Les hauteurs turques telles que vues des tranchées

L'endroit était calme et peu fortifié. La plage permetterait un débarquement rapide. Les troupes de réserves sont disponibles. Pour commander cette opération, Hamilton n'avait pas le pouvoir de choisir les officiers subalternes qu'il désirait. Kitchener avait choisi son ancien aide de camp, le général Stopford, qui n'avait pas d'expérience de combat. Ce choix par Kitchener fut désastreux pour la suite des événements, car il n'avait pas la compétence requise pour ce genre de travail. Dans son opération dans la baie de Souvla, Kitchener avait établi ses ordres sur un excès d'optimiste: il ignorait à peu près tout du terrain et des dispositions de l'ennemi. Le débarquement se fit de nuit et la tenue des troupes était cahin-caha: plus de la moitié de l'effectif souffrait de dysentrie. Stopford leur fit creuser des tranchées pour "consolider" son débarquement. Ces travaux étaient inutiles et épuisèrent les soldats qui, affaiblis, ne pouvaient espérer progresser dans les hauteurs. Ils étaient toujours cloués à leurs tranchées par les tirs turcs. Entretemps à Londres, l'amiral Fischer démissionne le 18 Mai; son départ convainc Churchill à démissionner, laissant du même coup Hamilton se débrouiller avec ses problèmes. Je veux les 50,000 soldats qui se traînent les pieds en Égypte, dit Hamilton mais ce dernier recevra ses renforts le 7 Juin, trop tard pour changer la donne sur le terrain, car les Turcs ont déjà renforcé leurs effectifs.

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Youhou?? Tranchées britanniques Le temps joue contre les Alliés

De plus, la lenteur que mit Stopford pour s'étaler offensivement fut la cause majeure de l'échec. Il perdit 48 heures cruciales qui lui aurait permis d'isoler la péninsule et de prendre la ville de Maidos. Devant cet état de fait, les Turcs firent appel à des renforts, et les réserves fortifièrent en quelques jours les hauteurs devant la plage et firent échouer toutes les attaques britanniques. Encore pire, les Britanniques ne purent obtenir un appui-feu naval. La partie semblait perdue et la campagne compromise.

Le réembarquement

La campagne des Dardanelles fut jugée comme un échec dès Septembre 1915. Il est presque certain que si les Alliés avaient vaincu à Gallipoli, la Turquie se serait retirée de son alliance avec les Centraux. Aucune troupe n'arrive de France ou d'Égypte: tout est expédié en France. Déjà, Australiens et Britanniques s'échangent injures et récriminations: les troupes Anzacs se sentaient sacrifiées. Lorsque les Alliés décident de faire un débarquement en Salonique, cela devint une belle excuse pour se retirer de guépier des Dardanelles. Les replis et réembarquement se firent de nuit durant trois semaines probablement avec l'aide tacite des Turcs épuisés eux-aussi dans l'usure. La facture s'éleva à 40,000 tués pour les Alliés, et Hamilton fut limogé et remplacé par le général Monro. Mais celui qui a le plus souffert de l'échec de cette campagne fut Winston Churchill. Ses adversaires politiques ne virent qu'en lui qu'un vulgaire aventurier qui, par impétuosité, avait sacrifié la vie de milliers de soldats alliés. Churchill démissionne de son poste de ministre de la Marine et se porte volontaire pour commander un bataillon dans les Flandres: Après le désastre de la baie de Souvla, j'ai compris que ma carrière politique était terminée. Je suis un homme fini, écria t-il dans ses mémoires. Un journaliste américain écrira une remarque dévastatrice qui fut publiée dans le London Times: it is doubtful if Great-Britain could survive another world war and another Churchill. Les Turcs ont perdu 86,692 soldats durant cette campagne des Dardanelles.

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Artilleurs australiens Contre-attaque turque Commentaires sur le réembarquement

Quant au Kaiser Guillaume II, il est si content qu'il vient lui-même de Berlin par train pour décorer ses héros qui ont tenu tête à la première opération combinée importante de leurs ennemis. Parmi les décorés, le général Von Sanders, et le lt-colonel Kemal qui sera rapidement promu général. Cette victoire a eu pour effet de raffermir le moral d'une Turquie ottomane qui en avait bien besoin, surtout après ses cuisants revers dans le Caucase. La campagne des Dardanelles a eu une forte influence sur l'Australie et la Nouvelle-Zélande où elle est considérée comme le "baptême du feu" de ces pays qui avaient obtenu leur autonomie de l'Empire britannique la décennie précédente. Pour de nombreux observateurs, elle permit l'émergence d'une identité nationale australienne après le conflit dont les caractéristiques sont celles accordées dans l'imaginaire populaire aux soldats qui combattirent durant cette bataille. Ces qualités d'endurance, de courage, d'ingéniosité, de jovialité et de fraternité ont été regroupées au sein du concept d'ANZAC spirit. En Turquie également, la bataille est resté gravée dans l'imaginaire collectif comme un des éléments fondateurs du pays; les combats terrestres ont néanmoins été occultés par la bataille navale de Mars 1915 durant laquelle la flotte alliée fut repoussée devant Canakkale – telle que le montrera les fresques peintes à l'intérieur du mausolée de Mustapha Kemal. Beaucoup de soldats turcs ont également été marqués par cette bataille; comme la majorité d'entre eux sont illettrés, ils n'ont pas écrit des carnets mais composé plusieurs chansons – comme cette complainte exprimée dans le clip ci-bas.

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Le cénotaphe australien du Lone Pine à Anzac Cove La complainte du soldat turc

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