Forcer le blocus

Malgré le fait que la Première Guerre mondiale a surtout été menée par des opérations terrestres, sa composante la plus élaborée aura été l'imposition du blocus naval britannique imposé à la Triplice - principalement l'Allemagne. Cette mesure a été appliquée dès le début du conflit et dura jusqu'en 1919 et il ne fait aucun doute aujourd'hui que le blocus naval a été la stratégie la plus efficace pour affaiblir Guillaume II en écorchant sa crédibilité comme leader politique et le privant d'approvisionnements vitaux pour l'économie allemande. Le but recherché par les stratèges de l'Entente était de forcer les armées de la Triplice à se rendre ou à subir les contrecoups politiques de la famine dans leurs populations - c'est-à-dire la révolution sociale... Le blocus maritime de l'Entente sera le plus grand cauchemar du Kaiser et ce dernier n'avait que peu de moyens pour le briser. L'Autriche-Hongrie, déjà affaibli par ses défaites militaires et sa disette alimentaire, ne lui était d'aucun secours. La Roumanie encore neutre poursuit ses livraisons de céréales vers l'Allemagne via le Danube, non sans attirer la convoitise des Austro-Hongrois aux ventres creux. L'Allemagne ne disposait que de trois moyens résiduels pour forcer le blocus naval: le raider (ou corsaire), le submersible, et la bienveillance de pays neutres (comme la Hollande et les États-Unis) pour lui fournir les denrées dont elle a besoin pour survivre en temps de guerre. Le problème était de savoir si ces moyens seraient suffisants en eux-mêmes pour poursuivre le conflit, tout en évitant de s'attirer des ennuis supplémentaires sur le plan géopolitique - surtout avec les États-Unis.

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Son organisation

Le blocus naval britannique constitue un défi organisationnel très important durant la guerre, tout en étant celui qui était le mieux à la portée de ce que pouvait faire l'Angleterre. Tandis que les Russes et les Français fournissent l'essentiel de la contribution militaire terrestre, les Britanniques établissent une surveillance étroite du littoral européen, en particulier du détroit du Danemark, pour éviter que les navires marchands approvisionnent l'Allemagne. Certains historiens affirment que le projet d'un blocus naval germait dans la tête de certains stratèges depuis 1904. Le plan initial était de débarquer sur certaines îles de la Mer du Nord – comme Sylt et Héligoland – pour y établir des stations d'écoute du traffic maritime allemand: un blocus dit "d'observation". Quand la la Royal Navy, sa Home Fleet n'était basée qu'à 170 milles du continent et disposée à se ruer sur toute escadre destinée à rompre un éventuel blocus imposé à l'Allemagne. Ce plan a été modifié en 1912 parce que les Allemands s'y étaient installés les premiers et les avaient dotées de bonnes défenses. L'autre raison était que la marine allemande dispose désormais de vedettes rapides lance-torpilles et de submersibles qui peuvent aisément se faufiler hors du blocus. Le gouvernement britannique demeure conscient de la vulnérabilité de la position insulaire de l'Angleterre qui peut, à son tour, subir une sorte de blocus allemand, puisque l'Angleterre dépend elle-aussi de l'approvisionnement ininterrompu de vivres et de matières premières. La Royal Navy conclua que le meilleur moyen d'appliquer un blocus continental était de détruire la marine allemande dès le début d'un conflit pour éviter que l'Allemagne ne lui en impose un.

Importations de nourriture par l'Angleterre et l'Allemagne en 1914

Cette deuxième option a été revisé en Juillet 1914. Le "blocus d'observation" devient un "blocus éloigné": les deux passages de la Mer du Nord seront bloqués entre Douvres et la côte française, de même qu'entre l'Écosse et la Norvège. Ces mesures visent à geler toute sortie des navires de guerre allemands et contrôler l'entrée de tout navire marchand en direction du continent, en particulier de la Hollande. Entretemps, les politiciens de l'Entente essaient de convaincre les pays neutres de réduire leur commerce avec la Triplice, tout en établissant des listes de produits jugés permis, restreints ou prohibés, que devront contrôler les marins britanniques qui inspecteront les navires marchands étrangers. L'Angleterre dépêche également des espions de l'Intelligence Service pour accumuler les données sur l'origine des marchandises étrangères fournies à l'Allemagne et surveiller les réactions des fonctionnaires allemands et d'ajuster les correctifs requis pour améliorer le blocus – sur papier... Néanmoins, lorsque la guerre éclate, il faudra quatre mois pour que le blocus soit mis en branle car la Royal Navy devait également envoyer des navires en Méditérannée pour nuire au commerce de la Triplice, surtout en Adriatique. Le principal obstacle au blocus maritime britannique est l'opposition des États-Unis à toute mesure qui vise à limiter la libre circulation commerciale sur les mers. Les Américains désirent que les navires marchands de la Triplice puissent voguer tranquillement vers les États-Unis avec leurs cargaison "civile" sans être emmerdés par les contrôleurs britanniques. Un document diplomatique connu sous le nom de Déclaration de Londres avait été signé en 1909 par tous les futurs belligérants de la Première Guerre mondiale pour protéger le commerce maritime mais il a seulement été ratifié par les États-Unis. Le seul pays qui n'a pas ratifié cet accord était l'Angleterre – un problème délicat à gérer pour Londres parce que les États-Unis deviennent le principal fournisseur de munitions de l'Entente à partir de l'été 1915...

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Zones couvertes par le blocus naval – Une marine allemande au repos?

Son déroulement

Durant les premiers mois de la guerre, la Royal Navy inspecte tous les cargos arrivant dans ses ports et/ou à la destination de la Hollande et de la Norvège; ils ne saisissent quele matériel de guerre et l'outillage qui peut en produire. Les denrées ne sont pas touchées. Cependant, lorsque des navires de guerre mouillent des mines le long des côtes anglaises en Novembre, le gouvernement britannique ordonne d'instaurer un blocus total sur toutes les catégories de marchandises. Les États-Unis ne rechignent pas puisque la pose de mines est jugé comme un acte offensif pouvant à lui-seul nuire au commerce maritime. Un mois plus tard, Washington se dit comprendre la situation britannique lorsque des croiseurs allemands pilonnent la ville côtière de Scarborough (clip ci-bas). L'opinion publique américaine se dit également consternée par les brutalités exercées par les Allemands en Belgique et en France. Les décideurs britanniques peuvent ainsi faire à leur guise en ce qui concerne l'appliaction du blocus.

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Le pilonnage du port de Scarborough va durcir le blocus continental

Pour comprendre l'efficacité du blocus naval britannique, il faut examiner les moyens utilisés par l'Angleterre pour couper les vivres à la Triplice ainsi que la complicité des pays neutres. Avant 1914, l'Allemagne de Guillaume II était un partenaire commercial important pour les affairistes britanniques. Le Parlement londonien en est conscient et c'est la raison pour laquelle il a quand même permis un certain niveau de commerce avec ce pays en guerre malgré le Trading with the Enemy Act. Néanmoins, les députés acceptent d'utiliser intégralement l'arme économique car elle sera le seul moyen de faire plier une puissance de classe mondiale comme l'Allemagne. Pour appliquer un blocus plus strict, l'Angleterre a également besoin d'influencer les États-Unis et les pays latino-américains pour qu'ils cessent leurs exportations vers l'Allemagne. Cela n'est pas facile car le marché allemand garantit à la fois des débouchés et des profits pour les affairistes concernés. La guerre crée une demande accrue pour des denrées, des minéraux, de la laine et du coton. Un pays belligérant a besoin d'acheter ces produits à l'étranger lorsque ses stocks domestiques diminuent. Si l'une des deux alliances peut monopoliser l'utilisation de telles ressources à son seul avantage, elle gagnera sûrement la guerre. Cependant, l'Angleterre sait très bien qu'elle ne peut pas paralyser à elle-seule tout le commerce mondial et fait en sorte de se gagner l'appui des pays neutres. D'abord, en leur garantissant un marché privilégié avec les hommes d'affaires britanniques. Ensuite, en donnant l'accès aux routes de l'Atlantique via l'inspection rapide de leurs navires.

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Un paquebot américain est inspecté – Un boutre africain est inspecté

L'Angleterre a également l'avantage de contrôler de nombreux centres de réapprovisionnement en charbon dans plusieurs ports internationaux. Les navires marchands peuvent ainsi s'approvisionner durant leurs périples mais à la seule condition de se plier aux consignes de la Royal Navy – sinon pas de charbon. Cette vulnérabilité oblige les pays neutres à se rapprocher de l'Angleterre pour continuer de bénéficier de l'accès au charbon britannique. L'Angleterre peut également dicter aux pays neutres les catégories de marchandises à transporter sur leurs navires et, de ce fait, établir des statistiques sur les ressources que les pays neutres avaient vendu à l'Allemagne avant 1914 en les comparant aux marchandises inspectées lors des contrôles maritimes. Comme une grande partie des marchandises transportées par les neutres provenaient des colonies et des comptoirs britanniques, l'Angleterre pouvait réguler le frêt commercial à sa guise en faisant en sorte qu'aucune marchandise "suspecte" ne soit vendue à un pays de la Triplice. Londres ira jusqu'à acheter les stocks que les pays neutres ont entreposé en Angleterre et dans certains ports étrangers pour sa propre utilité de guerre. Malgré toutes ces embûches, l'Allemagne parvient encore à acheter certaines ressources à l'étranger, comme le minerai de fer suédois, des céréales et produits alimentaires de Norvège et de Roumanie, ou encore des stocks capturés en Galicie et en Pologne. Le cas de la Suède est intéressant car ce pays neutre vend du minerai de fer à la fois à l'Allemagne et à l'Angleterre – pas question de s'aliéner les Suédois.

Les effets du blocus

Entre 1914 et 1916, le blocus naval britannique parvient progressivement à couper tous les robinets d'approvisionnement à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Son efficacité en temps de guerre était prévisible à cause de la dépendance accrue de l'Allemagne vis-à-vis le marché international. Entre 1889 et 1913, l'Allemagne importait 77% de ses matières premières et produits chimiques de l'étranger pour ses capacités industrielles. L'agriculture allemande dépend également d'engrais importés de l'étranger, comme le nitrate de sodium. Cette dépendance constituait une faiblesse certaine en temps de guerre et va autant affecter le domaine agroalimentaire que la production d'armements. Selon l'économiste hollandais Van Der Kloot, 45% des produits alimentaires cultivés en Allemagne dépendent d'importations étrangères; cela signifie que l'autosuffisance allemande claironnée par le Kaiser est plus apparente que réelle. Dans ces conditions, la bonne santé alimentaire et industrielle de l'Allemagne dépend essentiellement du flot ininterrompu d'importations étrangères car l'Allemagne n'est pas en position pour mener et gagner une guerre d'usure. Avant la guerre, Schlieffen avait écrit que la guerre prolongée ne peut pas être menée et gagnée quand l'existence de la nation repose sur l'agriculture, l'industrie et le commerce. Pour ce dernier, le salut géopolitique de l'Allemagne repose sur de grandes victoires obtenues le plus rapidement possible et non sur une guerre qui userait progressivement les ressources du pays.

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Une famille allemande déprimée – Les enfants ont faim...

A partir de l'automne 1915, les importations allemandes ont chutées de 55% et les exportations de 53%. Les effets se font sentir dans le garde-manger de la famille allemande. Les pénuries de produits alimentaires frais puis en conserve s'accélèrent, en dépit du fait que les unités au front sont encore bien nourries. Lorsque des permissionnaires allemands retournent chez eux, ils apportent souvent des rations militaires pour nourrir leurs familles... Les prix des denrées encores disponibles augmente et un marché noir s'installe. Les carences alimentaires se poursuivront durant toute l'année 1916: les adolescents deviennent maigrichons et la mortalité infantile devient importante. La récolte de patates (ci-contre) et de carottes est médiocre. Des erzats sont distribués pour nourrir plusieurs régions menacées par la famine. Le "pain de guerre" ou kriegbrot est fait de pelures de patate et de brain de scie. Le lait en poudre remplace le lait frais. La viande se fait rare et est de mauvaise qualité. Il y aura de nombreuses émeutes de la faim en 1915-16 et un désenchantement bien exprimé contre la guerre. Lorsque le maréchal Hindenburg s'imposera comme leader politique, il mettra en place un programme qui mobilisera l'économie allemande mais qui déstabilisera tout le système de rationnement déjà brinquebalent. Entre 1915 et 1917, la diète moyenne d'un civil allemand dépasse rarement 1100 calories par jour. Les ouvriers d'usine peu nourris deviennent moins performants. En Autriche-Hongrie, le blocus causera également des pénuries alimentaires ainsi que le vol de barges roumaines chargées de céréales destinées à l'Allemagne. Les Autrichiens chiâlent contre les Hongrois: comment se fait-il que vous mangez bien à Budapest alors que nous crevons de faim à Vienne? Le calcul stratégique devenait simple pour l'Entente: plus la situation alimentaire de la Triplice s'aggravera, plus le blocus deviendra efficace. La situation économique et industrielle deviendra critique au début de 1917 mais déjà en 1915 le Kaiser avait décidé de poser certains gestes pour forcer le blocus.

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Raiders et submersibles

Comme puissance continentale, l’Allemagne ne disposait pas de beaucoup d’atouts pour se livrer à un blocus maritime de ses ennemis. Sa marine était faible, et c’est la raison pour laquelle l’Amirauté allemande privilégia deux moyens pour imposer un blocus maritime à ses ennemis: le sous-marin et le forceur de blocus ou raider. Très tôt, l’entité majeure qu’elle devait affaiblir était l’Angleterre: sans fret maritime, l'économie du pays périra et sa population en sera réduite à la famine ou à la capitulation – ce sera la contrepartie allemande au terrible blocus imposé au Reich par la Royal Navy. L’approche stratégique allemande dans l’application d’un blocus naval différait de celle pratiquée par les Britanniques. Les Allemands arraisonnaient tous les navires marchands qu’ils rencontraient sous peine d’être coulés. Mais dans les faits, cette stratégie ne fut pas pratiquée à grande échelle avant 1917 pour des raisons politiques et malgré les pressions des autorités militaires. Le chancelier Bethmann-Hollweg voulait lui-aussi appliquer un blocus qui exploiterait la patience américaine jusqu’à l’extrême limite.

Le raider

Au début de la guerre, l’Allemagne manifestait beaucoup plus de respect pour les lois maritimes en temps de guerre que sur terre. A l’exception du minage des eaux internationales en Mer du Nord, elle fit une guerre de raiders tout à fait convenable en minimisant le nombre de pertes humaines. Le raider était un bâtiment de guerre construit comme un navire marchand. Techniquement, c'était un croiseur auxiliaire. Muni de turbines, il avait les 2/3 de la vitesse d’un croiseur, et certains d’entre eux étaient armés de canons de marine de 6" ainsi que des tubes lance-torpilles. Leurs instruments de pointage étaient de premier ordre. Souvent, les cargaisons inspectés par ces navires étaient soit transbordées ou alors les navires étaient intimidés de se rendre à un port neutre pour acheminer leur fret en Allemagne. Au début de la guerre, ils sont partout: Atlantique, Pacifique et Océan Indien. Cependant, lorsque ces raiders étaient appelés pour être interceptés par des navires britanniques, ils ralentissaient pour attendre que le croiseur ennemi soit à la portée de ses tubes lance-torpilles. le navire se laissait dériver par la houle et lancait ses torpilles lorsque la trajectoire du navire ennemi était parallèle à la sienne: avec 970 livres de TNT par torpille, cela était plus que suffisant pour se débarasser d'un croiseur ou d'un destroyer ennemi qui ne se doute de rien… Les raids sur des navires marchands pouvaient être également menées par de vrais navires de guerre, mais ils cessèrent lorsque l’escadre de Spee fut coulé en Décembre 1914. Cependant, le raider ne pouvait espérer être une arme dissuasive dans une escalade de l'interdiction des mers aux navires marchands. Le submersible sera beaucoup mieux adapté.

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Les raiders allemands Wolf et Mowe ont été efficaces

Le submersible

Comme puissance montante et revendicatrice, le Deuxième Reich montra beaucoup d'intérêt pour le submersible comme arme de guerre. La marine allemande, inférieure nombre devant la Royal Navy, goba le concept avec l'appétit du nouveau riche. Inspiré du navire conçu par l'américain Holland, les ingénieurs navals allemands produisirent rapidement deux types de navires submersibles armés: Le semi-hauturier (ci-contre) surtout utilisé en zones côtières & secteurs confinés (Baltique, Mer du Nord, Adriatique); Submersible allemand U-19un hauturier de bonne autonomie, capable d'opérer dans une variété de zones de combat. C’est en 1915 que l’Amirauté allemande envisagea d’utiliser le sous-marin comme un outil par excellence contre le fret ennemi. Il pouvait se profiler submergé près de sa cible, mais il trahissait souvent sa présence par son périscope peu discret. Mais contrairement à l’utilisation de navires de guerre ou de raiders, il apparut que l’Amirauté allemande ne pouvait pas mener le même type d’interception que celle pratiquée par ces navires de surface. La vulnérabilité du sous-marin était trop grande en surface, et c’est la raison pour laquelle les commandants de sous-marins étaient tentés de couler le navire plutôt que de l’examiner. Couler tout de go un navire marchand sans l’avoir auparavant identifié comme ennemi ou neutre n’était pas une bonne stratégie. La Proclamation Navale du 4 Février 1915 par l’Allemagne n’institua pas un blocus contre l’Angleterre. L’Allemagne parla d’une zone de guerre en Mer du Nord et à l’intérieur de laquelle elle s’attaquerait à tout navire ennemi ou suspect.

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Un Q-Ship allié: un navire marchand armé de canons – Un canon d'un Q-Ship

Cependant, l’amiral Scheer n’avait pas assez de sous-marins pour faire ce travail : 24 bâtiments étaient en service. En mer, la plupart des commandants de sous-marins respectaient les règles maritimes de guerre: ils avertissaient toujours le navire avant de l’attaquer ou l’arraisonner. Devant la menace sous-marine, beaucoup de cargos furent armés de petits canons capables de couler un sous-marin en surface. Certains d'entre eux étaient de véritables petits corsaires surnommés Q-Ships (ci-haut) qui développaient des techniques pour leurrer les surbmersibles allemands en surface et les couler avec leurs canons français de 75mm. Plusieurs d'entre eux étaient munis de ballons d'observation pour surveiller la traînée laissée par un périscope. Devant une telle menace, les commandants allemands n’eurent pas le choix que d'attaquer tous les cargos en plongée: en 1915, le taux d’attaque sans avertissement augmenta de 30%.

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Submersibles allemands ancrés à la base austro-hongroise de Cattaro – Submersible côtier de classe UC-1

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Sus au Lusitania

Dans leurs efforts de forcer le blocus maritime imposé par l'Angleterre, la marine allemande va également s'en prendre à tout navire suspecté de transporter des munitions. Ainsi, le petit paquebot Carpathia qui s'était rendu célèbre en 1912 pour avoir recueilli les survivants du Titanic a été torpillé pour cette raison. Nous avons noté que depuis le début du conflit, la position des États-Unis était celle d’un grand commerçant qui ne veut aucun obstacle dans la bonne marche de ses affaires, et spécialement dans son commerce européen. Depuis la fin du XIXème siècle, les exportations américaines en Europe avaient considérablement augmentées. Depuis le début de la Première Guerre mondiale, les États-Unis étaient devenus le plus grand créancier du monde, grâce aux importantes commandes de munitions passées par le gouvernement britanni que et aux prêts consentis par les banques américaines pour financer ces achats... L’économie américaine s’améliorait constamment et bien qu’une partie importante de la population américaine - aisée - favorisait une aide plus active à l’égard de l’Angleterre, la majorité de la population ne voulait pas entrer en guerre à ses côtés. Mais la guerre n’allait pas ignorer les navires américains. En 1915, aucun navire de guerre ne fut ajouté à l’inventaire vieillissant de la marine américaine. Le président Wilson espérait qu’il serait en mesure d’imposer sa médiation pacifique sur les belligérants et les amener à épouser sa conception d’un règlement juste et équitable du problème européen. Malgré une neutralité publiquement affichée, Wilson savait que si les États-Unis n’entreraient en guerre que du côté des Alliés. Vis-à-vis de l’Allemagne, Wilson voulait la forcer à reconnaître la suprématie de son commerce maritime avec le continent européen sans recourir à la guerre pour l’imposer.

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Le Lusitania sombre rapidement – Une affiche revancharde

C'est dans cette conjoncture que débuta les premières attaques contre des navires marchands américains. Le 6 Mai 1915, le paquebot britannique de 31,000 tonnes, le Lusitania, parti de New York pour l’Angleterre, fut torpillé près des côtes d’Irlande par un sous-marin allemand. Le Lusitania fut touché par tribord alors qu'il naviguait à vitesse relativement réduite vers le port de Cobh, à 40 km de là sur la côte sud de l'Irlande. Cette zone venait d’être déclarée « zone de guerre » par les Allemands, et le capitaine avait semble-t-il été informé de la présence d'un sous-marin allemand par les autorités britanniques. Selon les témoignages de survivants, le bruit de l'explosion à l'impact de la torpille fut suivi d'une seconde explosion beaucoup plus violente, et anormale. Elle fut officiellement attribuée à l'explosion d'une chaudière, mais suscita rapidement de nombreuses interrogations. Ce navire solide, ultra-moderne pour l'époque, coula anormalement vite et par la proue, alors qu'il disposait de compartiments étanches que le capitaine avait fait fermer par des portes étanches après avoir reçu un avis de la Royale annonçant qu'un sous-marin allemand croisait dans les parages (il avait aussi fait préparer les canots de sauvetage). Le paquebot sombra en 15 à 18 minutes, ne permettant qu'à 6 canots sur 48 d'être mis à l'eau. Sa coque repose toujours par 93 mètres de profondeur dans une zone brassée par de forts courants.

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La nouvelle de la tragédie fait la manchette – L'épave aujourd'hui

Le paquebot britannique est aussitôt présenté à la presse mondiale comme "neutre" et victime de la barbarie allemande. Des conférences, des affiches incitant à la guerre sont diffusées dans tous les États-Unis, appelant souvent à venger le Lusitania. Les Allemands, inquiets par la perspective d'une entrée en guerre rapide des États-Unis se justifièrent en prétendant que le navire transportait des armes, ce que les Britanniques nièrent immédiatement et farouchement, avant qu’en 1972, des archives ne montrent que le Lusitania convoyait effectivement un chargement secret de 11 tonnes de cartouches d’armes légères, et qu'il était armé de 12 canons. Mais le but du torpillage était sans équivoque: dissuader les Américains de commercer avec les ennemis de l’Allemagne. Il y eut 1198 victimes dont une centaine d’Américains. Londres et Washington furent unanimes à reconnaître cette tragé die comme l’acte d’une politique délibérée de la part du gouvernement allemand.

Durant l'année 1915, naviguer en haute mer demeurera un défi constant pour les capitaines de submersibles allemands. Les champs de mines immergées devant le détroit de Douvres obligèrent les Allemands à emprunter la route la plus longue pour atteindre l’Atlantique Nord. Tous les points de passage obligés étaient souvent patrouillés par des remorqueurs qui larguèrent de nombreuses grenades sous-marines. Dans la Mer du Nord et dans l’Atlantique, peu de navires furent coulés par les sous-marins allemands. Mais en Méditérannée, leur performance était excellente, que ce soit devant la péninsule de Gallipoli ou devant les approches d’Alexandrie. En Méditérannée, le sous-marin hauturier U-139 du capitaine Arnaud de Lapérière eut un excellent score contre les cargos britanniques et italiens. Le U-139 était un submersible hauturier plus long (ci-contre), plus lourd et mieux armé que ses équivalents allemands de la Seconde Guerre mondiale. Mais pour ménager ses torpille, Lapérière attaquait surtout au canon, abordait le navire, et après inspection et évacuation de l'équipage, le cargo visé était détourné sur un port austro-hongrois ou coulé par des charges explosives placées près des vannes de sabordage. Durant l’année 1915, les Allemands perdirent 19 sous-marins, presque tous par des tirs de surface, mais la marine en reçoit une cinquantaine. Il fut établi que ce n’est pas la vigilance britannique qui a perturbé l’action des sous-marins allemands, mais la retenue politique du gouvernement allemand, désireux de ne pas aggraver ses relations avec les États-Unis.

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